Burundi: à nouveau le chaos

Le spécialiste de l'Afrique Bernard Lugan décrypte pour RT France les racines du conflit au Burundi.

Au lendemain de l'indépendance de 1962, au Burundi, les Tutsis (15% de la population) réussirent à conserver le pouvoir en dépit de l’écrasante majorité des Hutus (85% de la population).

En 1986, la guérilla hutue débuta avec la fondation du Frodebu(Front pour la démocratie au Burundi). En 1988, le Frodebu extermina des milliers de Tutsis, entraînant de féroces représailles militaires. Le colonel tutsi Pierre Buyoya, qui était au pouvoir, entama malgré tout un processus démocratique qui débuta en 1989. Il fit ainsi entrer des ministres hutus au gouvernement, puis il nomma un Premier ministre hutu.

Le 1er juin 1993, un Hutu, Melchior Ndadaye, fut élu président de la République avec 64% des voix face au colonel Buyoya. Lors des législatives du 29 juin, le Frodebu obtint 73% des suffrages contre 20% pour le parti tutsi Uprona (Union pour le progrès national).

Dans la nuit du 20 au 21 octobre 1993, le président Ndadaye fut assassiné par des militaires tutsis. En réaction, les Hutus s'attaquèrent aux Tutsis. Dans 35 communes du nord et du centre du pays, ces derniers furent génocidés. Ces massacres changèrent en profondeur la réalité ethnique du Burundi car tout le nord du pays, à l’exception des villes de Muramvya, de Kirundo et de Karuzi, fut vidé de sa population tutsie tandis que les survivants se repliaient à Bujumbura qui devint à partir de ce moment une ville en partie tutsie.

Les évènements du Burundi constituent également un danger pour toute la région du Kivu où les foyers d’insurrection sont nombreux

Des négociations débutèrent ensuite entre le Frodebu et l’Uprona. Au terme de trois mois de marchandages, les deux partis finirent par s'entendre et, en janvier 1994, par consensus, l’Assemblée élit à l’unanimité un nouveau président, Cyprien Ntaryamira, un Hutu. Mais, le 6 avril 1994, l’avion qui transportait le président du Rwanda, le général Habyarimana et Cyprien Ntaryamira, fut abattu par un missile alors qu’il se posait à Kigali. Au Rwanda, cet attentat déclencha le génocide. Au Burundi, il provoqua la reprise de la guerre civile, certains Hutus, groupés dans un nouveau mouvement de guérilla, le Palipehutu (Parti de la libération du peuple hutu), cherchant à isoler la capitale Bujumbura.

Le 10 septembre 1994, les partis tutsis et hutus s’entendirent néanmoins et une «convention de gouvernement» partagea le pouvoir. Un nouveau président fut nommé en la personne de Sylvestre Ntibantunganya, un Hutu membre du Frodebu, tandis que le Tutsi, Antoine Nduwayo, était nommé Premier ministre. Mais les Hutus radicaux refusèrent les concessions faites aux Tutsis et, regroupés sous la direction du ministre de l’Intérieur Léonard Nyangoma, ils créèrent un mouvement ultra, le Cndd (Conseil national de défense de la démocratie) dont la branche armée étaient les Fdd (Forces pour la défense de la démocratie). La guerre civile fit alors à nouveau rage et l’anarchie fut totale sur fond de massacres inter ethniques.

Le 25 juillet 1996, l’armée tutsie fit un coup d'Etat et réinstalla au pouvoir le colonel Buyoya. Durant quatre ans, l'armée tutsie et la guérilla hutue s'affrontèrent. Puis, le 28 août 2000, un accord de paix parrainé par Bill Clinton et Nelson Mandela fut signé à Arusha, en Tanzanie, par 13 des 19 parties impliquées dans le conflit. Il prévoyait, entre autres, que l’armée deviendrait à 50% Hutu et à 50% Tutsi.

Le problème était que six organisations tutsies refusèrent de signer cet accord et que la guérilla hutue du Cndd-Fdd (Conseil National pour la Défense de la Démocratie-Forces pour la Défense de la démocratie),qui n’avaitpas participé aux négociations, annonça qu’elle n’avait pas l’intention de mettre un terme aux combats.

Entre avril et juillet 2001, l’anarchie sembla à nouveau l’emporter avec plusieurs tentatives de putsch tutsies et une longue série de massacres dans les deux camps. Puis, le 23 juillet 2001, à Arusha, fut entérinée la phase finale des négociations entre le colonel Buyoya et Domitien Ndayizeye, secrétaire général du Frodebu. Une période transitoire de 18 mois était prévue, les deux signataires devenant respectivement président et vice-président avec un mandat précis qui était d’organiser l’intégration des rebelles hutus dans l’armée, le déploiement d’une force de paix internationale et l’instauration de la démocratie.

Le 3 décembre 2002, à Pretoria, un accord de cessez-le-feu fut signé entre le gouvernement et les responsables de plusieurs mouvements hutus, à savoir Pierre Nkurunziza du Cndd-Fdd, Jean Bosco Ndayikengunukiye du Cndfd (Conseil national de défense des Forces démocratiques) et Alain Mugabarabona du Palipehutu-FLN, une dissidence du Palipehutu. Mais le Fnl (Front national de libération) du Hutu Agathon Rwasa ne signa pas l'accord qui ne fut d'ailleurs jamais effectif, car les deux camps s’accusèrent mutuellement de le violer.

La guerre ne ralentit donc pas, et cela d'autant plus que le Fdd, c'est à dire la branche militaire du Cndd, qui avait pourtant signé le cessez-le-feu du 3 décembre 2002, reprit les hostilités. De plus, au mois de février 2003, le Fnl d’Agathon Rwasa refusa l’appel du Conseil de sécurité de l’Onu demandant de négocier avec le président Buyoya et le 21 février 2003, Pierre Nkurunziza, chef du Cndd-Fdd, annonça que son mouvement suspendait les négociations.

Néanmoins, et conformément à l’accord du 3 décembre 2002, le 30 avril 2003, le président Buyoya remit le pouvoir à Domitien Ndayizeye, un Hutu, qui était jusque-là son vice-président.

Le 7 juillet 2003, le Cndd-Fdd et le Palipehutu-FNL (Parti, pour la libération du peuple hutu- Forces de libération Nationale) lancèrent une attaque massive sur Bujumbura.

Le 15 novembre 2003 un accord de paix (protocole de Pretoria) fut signé entre le président Ndayizeye et certains mouvements hutus, notamment le Cndd-Fdd de Pierre Nkurunziza qui obtint quatre ministères dans le nouveau gouvernement.

Lors des élections communales du mois de juin 2005, le Cndd-Fdd recueillit 62,9% des voix contre 20,5% pour le Frodebu et 5,3% pour l’Uprona, le parti tutsi.

Au mois de juillet, le Cndd-Fdd remporta également les élections législatives et sénatoriales, aussi, le 19 août, Pierre Nkurunziza fut-il désigné président de la République par le Cndd-Fdd, puis élu par l'Assemblée nationale et le Sénat.

Le 7 septembre 2006, un accord de cessez-le-feu fut signé à Dar es Salaam, en Tanzanie, entre le gouvernement Cndd-Fdd et le FNL-Palipehutu. Des dissensions se produisirent ensuite au sein du parti au pouvoir, le Cndd-Fdd, qui connut une scission après le limogeage au mois de février 2007 de son président, Hussein Radjabula qui fut emprisonné.

La question est donc de savoir si les évènements actuels ne vont pas faire exploser le consensus ethnique

Au mois de juillet 2007, le FNL-Palipehutu reprit le maquis et, en avril-mai 2008, il lança une offensive en direction de Bujumbura. Finalement, fin 2008, le FNL-Palipehutu signa un cessez-le-feu tout en demeurant hostile au Cndd-Fdd qu'il accusait d'avoir profité de la lutte des Hutus pour se hisser au pouvoir.

Le 28 juin 2010, Pierre Nkurunziza, seul candidat, fut réélu à la présidence de la République, pour un second et théoriquement dernier mandat. Les six candidats de l'opposition, dont Agathon Rwaza des FNL, l'ancien président Domitien Ndayizeye du Frodebu et Leonard Nyangoma qui avait rompu avec le CNDD, n'avaient pas participé au scrutin qu'ils estimaient truqué.

En 2015, Pierre Nkurunziza brigua un troisième mandat présidentiel, contrairement aux accords de paix d'Arusha qui n'en prévoyaient que deux. Cette décision ulcéra les oppositions et, à partir de ce moment, le Burundi bascula de nouveau dans la violence.

Au mois d'avril le Cndd-Fdd désigna officiellement Pierre Nkurunziza comme son candidat pour le scrutin présidentiel du mois de juillet 2015. Au mois de mai, la Cour constitutionnelle valida cette candidature, ce qui déclencha de très graves émeutes, la police ouvrant le feu sur les manifestants à Bujumbura.

Le 14 mai, le général Godefroid Niyombare, ancien compagnon de maquis du président et ancien chef du SNR* (Service national de renseignement) fit un coup d'Etat et annonça la destitution du président mais, le 15 mai, ce dernier reprit le contrôle de la situation.

Le 21 juillet, Pierre Nkurunziza fut élu pour un troisième mandat avec 69,41% des voix face à Agathon Rwasa. Cette victoire ne déboucha cependant pas sur un retour au calme, tout au contraire puisque le pays semble être entré dans une nouvelle phase de guerre. Dans la complexité de la situation, trois principales oppositions apparaissent:

- Au sein du Cndd-Fdd, le premier cercle des ex-rebelles se déchire. Le 23 mai 2015 fut ainsi assassiné Zedi Feruzi, ancien compagnon de lutte qui avait rompu avec le président en 2007.

- Les deux grands mouvements de l'ancienne rébellion hutue, le FNL-Palipehutu et le Cndd-Fdd au pouvoir s’opposent désormais frontalement.

- Au sein de l'armée, la cohabitation entre les militaires issus de l'ancien régime tutsi et les anciens maquisards hutus est de plus en plus problématique.

La question est donc de savoir si les évènements actuels ne vont pas faire exploser le consensus ethnique issu des accords d'Arusha et de la Constitution instaurant le partage ethnique du pouvoir. Cela est, en effet, à craindre car, si le point de départ de la crise actuelle fut un affrontement au sein de la nomenklatura hutue, le non-dit Hutu-Tutsi et le choc des mémoires différentes font que le conflit connaît désormais des débordements ethniques. D'autant plus que le Cndd-Fdd a entrepris de jouer la carte ethnique en dénonçant les opposants accusés d’être manipulés par les Tutsis, car les quartiers de Bujumbura qui échappent au contrôle présidentiel sont réputés être peuplés par des Tutsis.

Par ailleurs, dans certaines régions les accrochages sont de plus en plus nombreux entre les forces de sécurité et des groupes armées non identifiés, situation qui semble annoncer la gestation d’une nouvelle guérilla.

Les évènements du Burundi constituent également un danger pour toute la région du Kivu où les foyers d’insurrection sont nombreux. Quant aux rapports entre le Rwanda et le Burundi, ils sont très tendus, pour ne pas dire exécrables. D’autant plus que le président Kagame a juré de renverser Pierre Nkurunziza.

*Il avait été nommé à ce poste au mois de décembre 2014, avant d'être limogé au mois de mars 2015 pour s'être opposé à un troisième mandat du président.