RT France : Est-ce que la démission de Christiane Taubira vous surprend ?
Philippe Marlière : A l’annonce de sa démission certains se demandent «Ah tiens ! Christiane Taubira était encore au gouvernement ?». Il y a une surprise qu’elle soit restée aussi longtemps dans un gouvernement dans lequel elle était manifestement mal à l’aise du point de vue politique et disposait d’une faible capacité de manœuvre et d’action.
Cela peut paraître comme une démission à contre-temps. Cela veut dite qu’on pouvait l’attendre avant, aux autres moments de crise lorsqu’elle critiquait très vivement la politique du gouvernement dont elle faisait partie.
Il y a deux exemples très forts. En 2014, au moment de la construction du barrage de Sivens, dans le sud de la France, des écologistes manifestent contre le barrage, la police intervient d’une manière extrêmement musclée et un jeune homme est tué par un policier. Sur son compte Twitter, elle dit que c’est un drame extraordinaire. A ce moment-là, il y a une controverse en France sur la violence policière. Et elle reste à sa place malgré ses critiques très fortes. Un autre exemple : quand les poids lourds du gouvernement démissionnent : Arnaud Montebourg, ministre des Finances, Benoît Hamon, ministre de l’Education nationale et Aurélie Philipetti, ministre de la Culture. Ils partent en réaction à la ligne du gouvernement décidée par Manuel Valls. Cela a créé une sorte de crise politique pour le Premier ministre. La démission de Christiane Taubira ne s’est pas produite à ce moment-là non plus alors qu’on sait que Taubira est une figure de gauche qui s’entend très mal avec Manuel Valls, dotée d’une conception de la justice beaucoup plus progressiste, beaucoup moins répressive que Valls. Cela pouvait donner un prétexte, un motif pour partir.
On se demande si Christiane Taubira a été poussée dehors par Manuel Valls
Il a fallu attendre la loi sur la déchéance de la nationalité. On se demande si elle a été poussée dehors par Manuel Valls parce qu’il lui avait dit qu’elle ne serait pas rapporteur de ce projet alors qu’elle est ministre de la Justice.
Il la dessaisie de ce projet parce qu’il savait qu’elle n’était pas d’accord. Elle a été poussée dans ses retranchements, parfois même humiliée. Elle a tenu bon en termes d’images et déclarations, mais elles n’ont pas eu un impact politique très important. Elle est reconnue à gauche comme une ministre progressiste parce qu’elle a fait passer la loi sur le mariage pour tous, elle est devenue une figure de référence.
RT France : Certains estiment que Christiane Taubira est une icône de la gauche. Etes-vous d’accord ?
Philippe Marlière : C’est une personne qui a un grand crédit politique à gauche pour plusieurs raisons. Il y a très peu de figures de gauche qui attirent le public en France aujourd’hui. C’est très difficile de trouver une figure au PS, ou en dehors, qui fait l’unanimité. Potentiellement, c’était justement une figure possible pour des raisons qui tiennent à son parcours de femme issue d’une minorité ethnique, noire, venant de Guyane et qui a été pendant toute sa carrière victime d’attaques racistes. C’est une femme qui a beaucoup de charme, qui a défendu d’une manière éloquente la loi sur le mariage pour tous. C’était une figure sympathique, de qualité, avec des principes. Il ne faut pas sous-estimer ce crédit. Au milieu de la gauche modérée déçue par le gouvernement socialiste, elle était appréciée. Il y a aussi un regard critique venant de ceux qui l’ont appréciée pendant un moment mais qui ont perdu patience avec elle parce qu’ils n’ont pas su comprendre ce qu’elle a fait aussi longtemps dans le gouvernement socialiste le plus réactionnaire de son histoire à un poste si important où elle n’a pas pu faire grand-chose.
Elle démissionne au moment où on a quasiment oublié qu’elle était dans ce gouvernement
RT France : Est-ce que la démission de Christiane Taubira remet en cause l’image de François Hollande ?
Philippe Marlière : Il est possible que cela crée des dégâts, le poste de ministre de la Justice est très important. Je ne crois pas que cela risque de créer des dégâts sur le long terme. Cela crée des dégâts quand la démission d’une figure importante se déroule au «bon moment» et le timing de cette démission n’est pas bon. Quand on arrive trop tard, la déflagration politique que cela peut créer est très amoindrie. Christiane Taubira avait un grand crédit politique il y a deux ou trois ans, elle l’a perdu en restant au gouvernement sans pouvoir mener à bien les réformes qu’elle voulait mener. Elle démissionne au moment où on a quasiment oublié qu’elle était dans ce gouvernement. Manuel Valls peut être content aujourd’hui parce qu’il s’est débarrassé d’une opposante et l’a remplacée par Jean-Jacques Urvoas, un allié absolument fidèle et dévoué qui ne va lui créer aucun problème et qui va mettre en œuvre sa politique.