L’Ukraine, avec l’appui de ses patrons occidentaux, a longtemps préparé la conférence sur la paix du week-end passé en Suisse. Cependant, l’objectif principal des organisateurs de tenir un événement international majeur pour condamner la Russie d’une manière générale n’a été que partiellement atteint.
Son impact a été réduit par la réticence des pays du Sud et de l’Est à participer à un tel événement. Certains pays très importants, comme la Chine, ont refusé de venir, alors que la plupart se sont comportés de manière habituelle : ils ne veulent pas se brouiller avec l’Occident, ils ont donc manifesté le minimum d’intérêt acceptable (à chacun selon sa guise). Mais ces acteurs ne veulent pas être utilisés pour légitimer une certaine ligne.
Un agenda beaucoup moins ambitieux qu'espéré par Kiev
Les difficultés rencontrées pour attirer des invités ont contraint les organisateurs à restreindre l’agenda pour le rendre pertinent pour un public moins engagé. La sécurité alimentaire et nucléaire, ainsi que la question humanitaire de l’échange de prisonniers, méritent d’être discutées en tant que telles. L’idée fondamentale a également été modifiée : la formule de paix de Zelensky, qui impliquait la capitulation de la Russie, a disparu de l’ordre du jour.
L’issue de la réunion aurait pu être prédit à l’avance : beaucoup de discours pathétiques de participants ukrainiens et occidentaux, des commentaires plus courts et plus évasifs et une sorte de résolution simplifiée appelant à poursuivre le travail dans le cadre d’un processus de paix inclusif. Il y aurait pu y avoir des gains de propagande, mais pas à l’échelle pour laquelle tout cela a été conçu.
Le contexte de la conférence est plus intéressant. L’UE a organisé des élections difficiles au Parlement européen. La composition de l’organe représentatif du bloc n’a pas changé de manière spectaculaire. Les partis traditionnels ont conservé le contrôle et la capacité de décider entre eux de la répartition des sièges à la Commission européenne. Mais dans certains pays, dont certains très importants, il y a eu des bouleversements qui se sont avérés extrêmement désagréables pour les milieux dirigeants.
La France a été la plus touchée : l’échec du mouvement d’Emmanuel Macron face au succès de l’extrême droite est si évident que le président a jugé nécessaire d’annoncer immédiatement de nouvelles élections législatives. C’est un geste risqué, mais sans celui-ci, le sentiment d’être un canard boiteux ne ferait que s’amplifier. En Allemagne, la coalition gouvernementale a obtenu de très mauvais résultats : le principal bloc d’opposition CDU/CSU a gagné presque autant que les trois partis au pouvoir réunis. La deuxième place de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), contre laquelle une campagne de dénigrement agressive a été organisée, est un signal clair pour les élites. Parmi les autres résultats notables figurent la victoire du scandaleux Parti de la Liberté, également d’extrême droite, en Autriche et le succès des nationalistes en Belgique et aux Pays-Bas.
Les principaux dirigeants européens alliés à Kiev en difficulté chez eux
Il est erroné d’associer les résultats des élections à la seule question ukrainienne, l’éventail des questions qui préoccupent les électeurs européens est beaucoup plus large. Néanmoins, Emmanuel Macron a délibérément fait de la défense de l’Ukraine l’un des piliers de la campagne électorale de son parti, espérant utiliser la menace russe pour détourner l’attention de la situation intérieure en France.
En Allemagne, la fourniture d’armes, notamment celles à longue portée, à Kiev a fait l’objet de discussions incessantes, et le chancelier a été critiqué pour son indécision constante. Le résultat, cependant, est ambigu. Les partis frères CDU/CSU victorieux sont de véritables faucons, tandis que l’AfD occupe la deuxième place et s’oppose à l’armement de l’Ukraine. Les Pays-Bas et la Belgique font partie des bastions du soutien à Kiev, mais le vote y a été motivé par des facteurs très différents. Enfin, en Autriche, qui maintient officiellement son statut de neutralité, persiste le débat sur sa position dans le contexte de la crise européenne de savoir s’il y a un risque de devenir partie prenante à la confrontation.
Ce qui unit tous les résultats des élections européennes, ce n’est pas telle ou telle position sur le conflit ukrainien, mais le fossé qui se creuse entre l’agenda de couches de plus en plus larges de la population et celui des élites politiques. En France, certaines personnes ont probablement été alarmées par l’activisme belliqueux de Macron lorsqu’il a envisagé d’envoyer des militaires dans la zone du conflit ukrainien. Mais les problèmes internes, à commencer par la sécurité et la migration jusqu’au niveau de vie, semblent sans doute plus importants pour la grande majorité des Français. L’impression principale que donne l’administration actuelle est qu’elle ne répond pas aux aspirations réelles du peuple, mais se concentre plutôt sur ses propres problèmes qui n’intéressent que leur propre cercle.
A quand une vraie conférence de paix ?
Et, comme le dit l’expression, ce n’est pas un bug, c’est une des fonctionnalités (ce n’est pas un échec du programme, mais une de ses particularités). Par exemple, Macron est apparu sur la scène politique en 2017, alors que les deux principaux partis du pays étaient en crise profonde et que les États-Unis et le Royaume-Uni venaient de subir des bouleversements politiques : l’avènement de Trump et le vote de sortie de l’Union européenne. Une figure fraîche et combative aux opinions élastiques capables de changer dans n’importe quelle direction, telle était la réponse des milieux dirigeants français à la menace de l’arrivée au pouvoir d’alternatives idéologiques et politiques indésirables. En d’autres termes, c’était une simulation du renouveau qui n’a pas affecté les bases. Dans le cas de Macron, cela a fonctionné. Mais lorsque les contradictions internes atteignent des proportions insurmontables, des solutions de fond sont nécessaires, tout comme des solutions aux questions qui importent le plus à la majorité de la population, et non à ceux qui sont au sommet. La France semble être le premier grand État occidental à se trouver dans une telle impasse.
Ceci est pertinent pour la réunion sur l’Ukraine en Suisse dans la mesure où les priorités changeront inévitablement à long terme. Non seulement sur la question ukrainienne, mais en général. Le moment viendra alors pour une véritable conférence de paix.