Le décès, le 11 mai, de la journaliste d'al-Jazeera Shireen Abu Akleh alors qu'elle couvrait des affrontements en Cisjordanie occupée par Israël – un meurtre «de sang froid» dont Tsahal est responsable, selon la chaîne – a déclenché une vague de protestations et de condamnations à travers le monde, mais certaines réactions diplomatiques, dont celles de Washington et de Paris, ont été pour le moins prudentes.
Le porte-parole du département d'Etat, Ned Price, qui a «fermement condamné» le meurtre de la journaliste, a appelé sur Twitter à une enquête «immédiate et minutieuse», afin d'identifier les coupables, qui devront «rendre des comptes». Prié de dire qui devait mener cette enquête, il s'est borné devant la presse à «saluer» l'annonce de l'ouverture d'une enquête par l'armée israélienne, assurant que l'Etat hébreu avait «les moyens et les capacités de mener des investigations minutieuses et exhaustives». Ned Price a par ailleurs refusé de se prononcer sur l'origine des tirs. «Nous allons attendre de voir dans quelle direction va l'enquête», a-t-il commenté.
L'ambassadrice des Etats-Unis à l'ONU, Linda Thomas-Greenfield, a pour sa part assuré que le cas devait être «étudié de manière transparente», encourageant «les deux parties à participer à cette enquête».
Réaction laconique de Paris
En ce qui concerne la France, le quai d'Orsay a jugé la mort de la journaliste «profondément choquante» et présenté ses condoléances à sa famille, souhaitant un prompt rétablissement au confrère de Shireen Abu Akleh, Ali al-Samoudi, qui a été blessé par ces mêmes coups de feu. Quant aux suites à donner, le ministère des Affaires étrangères a demandé, de manière assez laconique, «une enquête transparente dans les meilleurs délais pour faire toute la lumière sur les circonstances de ce drame», tout en réaffirmant son attachement à la liberté de la presse.
Israël dément sa responsabilité, les témoignages indiquent qu'un tir de sniper est en cause
Les autorités israéliennes ont répété à maintes reprises ignorer qui avait tué la journaliste, après avoir suggéré qu'elle avait «probablement» été atteinte par des tirs de combattants palestiniens en marge d'affrontements à Jénine. Une version également défendue par le Premier ministre Naftali Bennett, qui a évoqué la responsabilité de «Palestiniens armés» dans le décès de la journaliste. Les autorités israéliennes ont également diffusé une vidéo montrant des combattants palestiniens ouvrant le feu dans le camp de Jénine, mais ces images ont été tournées à plus de 300 mètres du lieu du décès de la journaliste, à la sortie du camp. En soirée, le ministre de la Défense Benny Gantz a indiqué à la presse étrangère que l'armée n'était «pas certaine de la manière dont elle a été tuée».
Son collègue Ali al-Samoudi, blessé lors de ces affrontements, a lui accusé l'armée israélienne d'avoir ouvert le feu sur les journalistes. «Nous étions en route pour couvrir l'opération de l'armée lorsqu'ils ont ouvert le feu sur nous [...] Une balle m'a atteint. La seconde balle a touché Shireen», a-t-il relaté. Selon Majid Awais, témoin de la scène qui s'est confié à l'AFP, Shireen Abu Akleh «s'est retournée en panique» lorsque son collègue a été touché, puis a été atteinte d'une balle derrière la tête.
Selon le médecin légiste palestinien Rayyan Ali, qui a pu examiner la dépouille, la journaliste a été tuée d'une balle l'ayant atteinte avec une «haute vélocité» la tête. Citant le journaliste Moujahid Al-Saadi, France Info précise que Shireen Abu Akleh a été touchée par un seul tir, qui l'a frappée au niveau de la tempe, «juste au-dessus de l'oreille». Plusieurs témoins présents sur place ont rejeté l'hypothèse d'une balle perdue lors d'affrontements entre Palestiniens et Israéliens et privilégié la piste d'un tir de sniper délibéré, alors même que Shireen Abu Akleh portait une veste «presse».
Israël a réclamé «la preuve médico-légale» des Palestiniens, y compris la balle ou les fragments de balle ayant tué la reporter d'Al Jazeera, afin de mener une enquête «complète». L'Etat hébreu propose une enquête conjointe aux Palestiniens, ces derniers préférant une enquête internationale, comme l'a demandé le groupe des pays arabes à l'ONU.
La sœur de tous les Palestiniens
Le décès de Shireen Abu Akleh intervient dans un climat tendu, un an après la dernière guerre à Gaza entre l'Etat hébreu et le Hamas, qui a fait 260 morts du côté palestinien et 14 du côté israélien et durant laquelle la tour abritant les locaux d'al-Jazeera avait été détruite par une frappe israélienne.
Le corps de la journaliste, ramené à Ramallah (Cisjordanie) le 11 mai, a été accompagné par la foule. Dans la soirée, des heurts ont opposé des Palestiniens à des policiers israéliens à Beit Hanina, quartier de Jérusalem-Est où vit la famille de la journaliste. Un Palestinien ayant attaqué un policier dans la Vieille Ville a été grièvement blessé par les forces israéliennes, selon la police.
Une cérémonie officielle est prévue le 12 mai à Ramallah au siège de l'Autorité palestinienne, en présence du président Mahmoud Abbas et de représentants de la presse, avant les funérailles dans une église de Jérusalem, où Shireen Abu Akleh avait grandi. Elle «était la sœur de tous les Palestiniens», a déclaré son frère à l'AFP, le 11 mai.