34 ans après le putsch qui a coûté la vie à Thomas Sankara, le tribunal militaire de Ouagadougou a rendu, le 6 avril, une décision très attendue : il a condamné à la prison à perpétuité les trois principaux accusés de son assassinat, dont l'ancien chef de l'Etat Blaise Compaoré.
En exil en Côte d'Ivoire depuis 2014, ce dernier a été condamné par contumace, de même que le commandant de sa garde au moment des faits, Hyacinthe Kafando, en fuite depuis 2016. Le général Gilbert Diendéré, un des chefs de l'armée lors du putsch de 1987 qui purge déjà une peine de 20 ans de prison pour sa participation à une tentative de coup d'Etat en 2015, était présent à l'énoncé du verdict.
Les trois hommes ont été condamnés pour «attentat à la sûreté de l'Etat». Blaise Compaoré et Gilbert Diendéré sont également reconnus coupables de «complicité d'assassinat», tandis que Hyacinthe Kafando, soupçonné d'avoir mené le commando qui a tué Thomas Sankara, est reconnu coupable d'«assassinat». Ils disposent de quinze jours pour faire appel de ces sentences. Les juges sont allés au-delà des réquisitions du parquet militaire, qui avait demandé 30 ans de prison contre Blaise Compaoré et Hyacinthe Kafando, et 20 ans contre Gilbert Diendéré.
L'aboutissement d'un combat judiciaire de près de 30 ans
«Le juge a donné son verdict selon la loi et tout le monde apprécie», s'est réjouie la veuve du président assassiné, Mariam Sankara, présente presque tout au long du procès. «C'est quelque chose qu'on a demandé, la justice et la vérité», a t-elle ajouté. «Notre but c'était que les violences politiques qu'il y a au Burkina finissent. Ce verdict va donner à réfléchir à beaucoup de personnes», a-t-elle complété.
L'avocat de la famille Sankara, Guy Hervé Kam, a également fait part de son «sentiment de satisfaction». «Aujourd'hui, je peux dire que je suis fier d'être Burkinabè et avocat. Je suis fier de voir l'aboutissement d'un combat judiciaire de près de 30 ans», s’est-il réjoui. Prosper Farama, autre avocat des Sankara, a indiqué espérer, après ce verdict, «que ce genre de crime odieux n'arrive plus jamais au Burkina ni ailleurs en Afrique».
Celui du général Diendéré, Mathieu Somé, a en revanche jugé «excessive» la condamnation de son client à la perpétuité. «En étant accusé présent, il a la même peine que ceux qui étaient absents. Ce qui n'est pas tout à fait juste car il est venu apporter sa contribution», a-t-il relevé. Huit autres accusés ont été condamnés à des peines allant de trois ans à vingt ans de prison. Trois accusés, enfin, ont été acquittés.
Les avocats de Blaise Compaoré avaient, dès le début, dénoncé «un procès politique» devant «une juridiction d'exception». Soupçonné d'être le commanditaire de l'assassinat de son ancien compagnon d'armes et ami, Blaise Compaoré a toujours nié son implication.
Un procès perturbé par le coup d'Etat de janvier
Le procès a été perturbé par la prise du pouvoir par les militaires survenue le 24 janvier, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba ayant renversé le président Roch Marc Christian Kaboré : d'abord placé sous surveillance, il a été libéré le 6 avril. Le procès a été une première fois suspendu au lendemain du putsch, puis le 31 janvier, «jusqu'au rétablissement de la Constitution» mise en sommeil lors du coup d'Etat, ensuite rétablie par les militaires au pouvoir. Mais de nouvelles interruptions sont intervenues, dont une à la suite de la prestation de serment de Paul-Henri Sandaogo Damiba devant le Conseil constitutionnel, le 16 février.
La défense a alors introduit une requête en soulignant qu'on demandait des condamnations pour «attentat à la sûreté de l'Etat», alors que le putsch du lieutenant-colonel Damiba, validé par le Conseil constitutionnel, constituait en lui-même un «attentat à la sûreté de l'Etat». Cela «consacre la prise de pouvoir par la force comme un mode constitutionnel de dévolution du pouvoir», avaient soutenu les avocats de la défense. Un argument «non fondé» rejeté par le Conseil constitutionnel, permettant la reprise du procès.
Icône révolutionnaire
Arrivé au pouvoir en 1983, le capitaine Thomas Sankara souhaitait «décoloniser les mentalités» et bouleverser l'ordre mondial en prenant la défense des pauvres et des opprimés, se montrant très critique à l'égard de la France. Sa mort, aux côtés de douze de ses compagnons, lors de l'irruption d'un commando au siège du Conseil national de la révolution (CNR) à Ouagadougou, a été un sujet tabou pendant les 27 ans de pouvoir de Blaise Compaoré, lui-même contraint en 2014 de quitter le pouvoir après une insurrection populaire.
Son souvenir reste vivace, notamment pour une partie de la jeunesse : selon RFI, après l'énoncé du verdict, les parties civiles se sont dirigées vers le mémorial Thomas Sankara. «Durant tout le trajet, c’est aux cris de "la patrie ou la mort, nous vaincrons" et de chants révolutionnaires que les gens ont acclamé le cortège», relate le média, qui précise qu'un hommage a été rendu au capitaine sur le site même de son assassinat. Les mouvements se réclamant de l'héritage de Thomas Sankara demandent désormais l'organisation d'obsèques nationales en son honneur.