Le Washington Post a annoncé le 12 novembre avoir pris une «mesure inhabituelle» en corrigeant et supprimant de grandes parties de deux articles, publiés en mars 2017 et février 2019, qui avaient identifié un homme d'affaires biélorusso-américain, Sergei Millian, comme une source clé du «dossier Steele».
La publication le 7 mai 2020 par le House Intelligence Committee – une instance chargé de surveiller les activités des agences de renseignement américaines – des interviews menées par le Congrès sur l'enquête du FBI avait révélé que ce dossier ne contenait aucune information vérifiée, voire des assertions purement et simplement fausses.
Christopher Steele, ancien agent des services secrets britanniques, est l'auteur d'un dossier éponyme dont l'objectif était de fournir des arguments appuyant la thèse d'une collusion entre Donald Trump et Moscou.
«Une collection d'informations largement non vérifiées, des rapports affirmant que le gouvernement russe disposait d'informations compromettantes sur le candidat de l'époque, Donald Trump», admet désormais le Washington Post qui avait participé à l'époque à la diffusion des informations avancées par le dossier Steele, à la source de ce qui a été surnommé le Russiagate.
La nouvelle rédactrice en chef du journal, Sally Buzbee, en poste depuis le 1er juin, a déclaré que le Washington Post ne pouvait aujourd'hui plus se fier à l'exactitude des informations que le journal avait publiées dans les articles désormais modifiés ou supprimés. Le Washington Post avait identifié l'homme d'affaires Sergei Millian comme la «Source D», figure anonyme censée avoir transmis l'allégation la plus salace du dossier à Christopher Steele. Cette source D prétendait que les services de renseignement russes possédaient des vidéos compromettantes sur Donald Trump.
La golden shower du Ritz Carlton de Moscou jamais prouvée
Ces allégations avançaient que le milliardaire américain avait engagé des prostituées russes pour une séance de golden shower (une pratique sexuelle qui consiste à se faire uriner dessus), dans une chambre de l'hôtel Ritz Carlton de Moscou, occupée précédemment par le président Barack Obama et son épouse. Des informations qui n'ont jamais été étayées, reconnaît le Washington Post. Le journal a donc pris la décision de supprimer les références à Sergueï Millian comme source du «dossier Steele» dans les versions en ligne et archivées des articles de mars 2017 et février 2019. «Une douzaine d'autres articles du Post qui faisaient la même affirmation ont également été corrigés et modifiés», précise le journal. Ces éléments scabreux du «dossier Steele», clé de voûte de la théorie du Russiagate, publiés initialement par Buzzfeed, avaient été largement repris dans la presse internationale, et notamment française.
Or, comme le rappelle le Washington Post, le «dossier Steele» était constitué «d'informations brutes et de tuyaux non confirmés provenant de sources non identifiées», que l'ex-agent britannique a compilés dans le cadre d'un «projet de recherche sur l'opposition politique pour un cabinet d'investigation travaillant pour le compte de la campagne présidentielle d'Hillary Clinton en 2016». Donald Trump avait dénoncé à plusieurs reprises le «dossier Steele» comme étant faux, le présentant comme la pièce maîtresse d'une volonté malveillante financée par ses opposants politiques pour lui porter préjudice.
La réévaluation du Washington Post sur ce dossier fait suite à l'inculpation le 4 novembre d'Igor Danchenko, un analyste et chercheur russo-américain qui a aidé Steele à compiler le dossier. Les poursuites le visant s'inscrivent dans le cadre d'une enquête menée par le procureur spécial John Durham, nommé à la fin du mandat de Donald Trump pour faire la lumière sur l'origine et la gestion par le FBI de «l'enquête russe».
La décision du Washington Post d'éditer et de republier les articles concernant cette affaire est «très inhabituelle dans l'industrie de l'information», et ce, du propre aveu du journal. Reste à voir si les autres médias internationaux qui ont largement repris ces allégations feront preuve de la même déontologie.