La Pologne se prépare-t-elle à quitter l'UE, ainsi que Donald Tusk, ancien président du Conseil européen aujourd'hui président du Parti populaire européen (PPE) à l'europarlement, le redoutait déjà au mois de décembre 2019 ? Pour l'heure, c'est en tout cas une vraie poussée d'adrénaline qui vient de se produire dans le bras de fer qui oppose depuis plusieurs années Bruxelles à Varsovie, au sujet de réformes du système judiciaire enclenchées dans le pays après l'arrivée au pouvoir en 2015 du parti Droit et Justice (PiS).
La Commission n'hésitera pas à faire usage des pouvoirs que lui confèrent les traités
Ces réformes ont fait l'objet de multiples attaques émanant de la Commission européenne qui a explosé de rage après que le tribunal constitutionnel polonais a jugé certains articles des traités européens incompatibles avec la Constitution du pays. Il s'agit d'une décision «inacceptable pour Bruxelles» car est ici directement remise en question la supériorité des droits européens sur les droits nationaux.
«La Commission n'hésitera pas à faire usage des pouvoirs que lui confèrent les traités pour préserver l'application uniforme et l'intégrité du droit de l'Union», a ainsi affirmé Bruxelles en réponse à cette récente décision, ne manquant pas de réaffirmer sur les réseaux sociaux la primauté du droit de l'UE sur les droits nationaux «y compris les dispositions constitutionnelles». «Tous les arrêts de la Cour lient toutes les autorités des Etats membres», a encore tonné la Commission.
En pointant du doigt une «incompatibilité» entre des traités supranationaux et sa Constitution, la Pologne a une fois de plus égratigné le symbole d'une harmonie européenne dans l'adversité. En effet par le passé, Varsovie avait déjà réussi à accorder ses violons avec la Hongrie ou encore la Slovénie dans sa confrontation avec Bruxelles.
Cet état de fait creuse encore un fossé entre Etat membres, comme en témoigne la réaction de plusieurs chancelleries européennes, qui se sont rapidement rangés derrière l'exécutif européen afin de sermonner Varsovie. Le gouvernement polonais «joue avec le feu» et pourrait provoquer «une rupture» avec l'Union européenne, a par exemple estimé le 8 octobre le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères Jean Asselborn, cité par l'AFP. «L'Allemagne appelle la Pologne à appliquer pleinement les règles communes de l'UE», a simultanément rapporté l'agence de presse.
La décision polonaise a par ailleurs été jugée «gravissime» par Paris. «Ca n’est pas un sujet technique ou un sujet juridique. C'est un sujet éminemment politique qui s’inscrit d'ailleurs dans une longue liste de provocations à l’égard de l’UE», a dans le même temps estimé Clément Beaune, secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes.
Un bras de fer qui se joue à plusieurs niveaux
De son côté, le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a cependant tempéré le 8 octobre, affirmant que son pays souhaitait rester dans l'Union européenne. «La place de la Pologne est et sera dans la famille européenne des nations», a-t-il déclaré sur Facebook, ajoutant que l'adhésion à l'Union était «l'un des points forts des dernières décennies» pour la Pologne et l'UE.
Le mois dernier, Jaroslaw Kaczynski, le chef du PiS, avait également rejeté cette idée, déclarant que la Pologne voulait seulement mettre fin à l'«ingérence» de l'UE. «Il n'y aura pas de Polexit [...] Nous voyons sans équivoque l'avenir de la Pologne dans l'Union européenne», avait déclaré le responsable politique.
Récemment interrogé sur le dossier par RT France, le professeur à l'Institut national des langues et des civilisations orientales (Inalco) et spécialiste du monde slave Bruno Drweski, avait estimé que le premier élément ici en jeu concernait la question intérieure de l'administration de la justice par un gouvernement, ici critiqué sur le plan des principes fondateurs d'«une démocratie de type occidental».
Toutefois, le politologue évoquait également une confrontation avec la Commission européenne qui pourrait permettre à Varsovie de «maintenir son autorité morale» dans l'opinion polonaise du fait que le pays ose ici s'affirmer face à Bruxelles. «Il s'agit de flatter une opinion polonaise [au-delà de] la question de la Justice», analysait en effet Bruno Drweski, selon qui la population est également sensible à la possibilité pour le gouvernement de s'opposer à d'autres politiques de l'UE, notamment sur «le maintien du secteur du charbon», au sujet duquel le professeur pointe «un deux poids deux mesures entre les grandes puissances européennes comme l'Allemagne et les pays de moins grande importance du centre-est». Pour rappel, la cour de justice de l'UE a récemment condamné la Pologne, sur demande de la République tchèque, à payer 500 000 euros quotidiennement jusqu’à l’arrêt d’une mine de charbon de Turow.