Attaqué sur plusieurs fronts, Apple a fait une nouvelle concession le 3 septembre en retardant la mise en place de nouveaux outils de lutte contre la pédopornographie sur ses appareils tels que l'iPhone et l'iPad, ce nouvel arsenal numérique ayant suscité un tollé chez les défenseurs de la vie privée en ligne.
Le géant de la Silicon Valley avait dévoilé début août des fonctionnalités conçues pour mieux repérer les images à caractère sexuel impliquant des enfants, sur son serveur de iCloud et sur la messagerie iMessage pour les comptes de mineurs liés à un abonnement familial.
Réputé pour avoir jusqu'à présent tenu tête à tous ceux qui essayaient de contourner son système de cryptage pour avoir accès à des messages privés, le groupe a assuré que ces nouveaux algorithmes ne rendaient pas le système moins sûr ni moins confidentiel.
Des spécialistes du cryptage et de la vie privée tels qu'Edward Snowden craignent cependant que ce genre d'outils soient utilisés pour de la surveillance ou de la censure, par des gouvernements autoritaires par exemple.
Un lancement retardé de plusieurs mois
La firme de Cupertino, qui a fait de la protection des données de ses utilisateurs un argument de vente majeur ces dernières années, a bien tenté de défendre ses nouvelles technologies à plusieurs reprises.
Mais face aux remarques des clients, des groupes de défense des droits ou des chercheurs, elle a choisi «de prendre du temps supplémentaire au cours des prochains mois pour recueillir des commentaires et apporter des améliorations avant de rendre publiques ces importantes fonctionnalités de protection des enfants».
Apple avait annoncé initialement vouloir installer ses nouveaux outils lors des prochaines mises à jour des systèmes d'exploitation sur les iPhone, iPad, iWatch et iMac aux Etats-Unis. En repoussant ce moment, la marque à la pomme semble faire un nouveau compromis au moment où elle se retrouve sous la pression des régulateurs et tribunaux de plusieurs pays.
Le groupe a notamment amorcé un changement radical la semaine dernière en annonçant qu'il allait permettre aux éditeurs d'applications mobiles de proposer à leurs clients des moyens de paiement en dehors de l'App Store.
Une lettre ouverte signée par des ONG et par 7 700 personnes
Un des outils développés par Apple est censé permettre de comparer les photos téléchargées sur son serveur iCloud avec celles entreposées dans un fichier géré par le Centre national des enfants disparus et exploités (NCMEC), sans avoir directement accès à l'image. Il prévoyait que la machine reconnaisse un minimum de 30 images sur un même compte pour qu'il soit signalé et que des humains le vérifient manuellement, mais les spécialistes du cryptage et de la vie privée redoutent qu'il soit utilisé à d'autres fins.
Un autre outil développé par les techniciens d'Apple permet de scanner les photos reçues ou envoyées par des mineurs via la messagerie iMessage. Cependant, le fait de pouvoir intervenir de quelque façon que ce soit sur la messagerie iMessage remet en cause le fait que les échanges soient supposés être cryptés de bout en bout, craignent les experts.
Une lettre ouverte contre ces technologies a été signée par diverses ONG et plus de 7 700 personnes, dont l'ancien informaticien de la CIA et lanceur d'alerte Edward Snowden.
Après l'annonce d'Apple du report de la mise en service de ses nouveaux outils polémiques, celui-ci a commenté la situation en ces termes : «Ne laissez jamais quelqu'un vous dire qu'il n'y a rien à faire lorsqu'une entreprise annonce un plan pour vous berner [...] C'est une énorme victoire, mais rappelez-vous : cette chose n'est pas encore morte. Soyez prêt à vous battre si elle revient».
Matthew Green, qui enseigne la cryptographie à l'Université Johns Hopkins, s'est félicité de la décision d'Apple d'engager un dialogue avec le grand public. «Il ne s'agit pas juste de l'ajout d'une nouvelle barre tactile sophistiquée ; c'est un compromis sur la confidentialité qui affecte 1 milliard d'utilisateurs», remarque-t-il sur Twitter à propos de ces nouveaux outils numériques.
«Il est encourageant de constater que la vague de critiques a forcé Apple à retarder ce plan de surveillance imprudent et dangereux», a aussi estimé dans un communiqué Evan Greer, membre du groupe de défense des droits sur internet Fight for the Future. «Mais la réalité est qu'il n'y a aucun moyen sûr de faire ce qu'ils proposent en toute sécurité [...] Ils devraient mettre ce projet aux oubliettes», a-t-elle estimé.
Pour Andy Burrows, responsable de la sécurité des enfants en ligne à la National Society for the Prevention of Cruelty to Children (Société nationale de prévention de la cruauté envers les enfants) basée en Grande-Bretagne, c'est en revanche une décision «incroyablement décevante». «Apple avait adopté une approche proportionnée qui cherchait à équilibrer la sécurité des utilisateurs et la confidentialité, et [le groupe] aurait dû tenir bon face aux critiques», a-t-il regretté.