Accusée d'avoir contrevenu à la loi en séparant d'office des couples de demandeurs d'asile, Inger Støjberg, ministre danoise de l'Intégration et de l'Immigration de 2015 à 2019, est jugée à partir de ce 2 septembre devant la Cour spéciale de justice, une procédure rare dans ce pays scandinave.
«C'est le premier cas en 25 ans et avant il y a eu seulement un seul cas comparable [...] c'est historique», a déclaré à l'AFP Frederik Waage, professeur de droit à l'Université du Danemark du Sud.
Pendant les 46 jours d'audience, les 26 juges de la Cour spéciale, qui ne se réunit que pour juger des membres du gouvernement, anciens ou actuels, vont tâcher de déterminer si Inger Støjberg a violé la Convention européenne sur les droits de l'homme en ordonnant la séparation de couples de demandeurs d'asile lorsque la femme est mineure.
En 2016, 23 couples, dont la différence d'âge était majoritairement peu importante selon l'AFP, avaient été séparés, sans examen individuel de leur dossier, en vertu de la consigne donnée par la ministre libérale qui a depuis quitté le parti sans renoncer à son siège de députée.
Circonstance aggravante pour le parquet, interrogé en Commission devant le Parlement, Inger Støjberg aurait donné des «informations incorrectes ou trompeuses», a relevé l'acte d'accusation.
Støjberg dit avoir voulu aider les mineures mariées de force
L'intéressée estime quant à elle être accusée à tort. Dans son discours au Parlement, qui conformément à la procédure a adopté l'acte d'accusation en février, elle avait déclaré avoir «fait ce qui, selon [elle], était la seule chose politique et humaine à faire», pour lutter contre les mariages d'enfants forcés : «Imaginez que vous arriviez dans un pays comme le Danemark, un pays de parité, en tant que jeune fille victime d'un mariage forcé, et que vous découvriez qu'au lieu de vous donner la possibilité de rompre votre mariage forcé, l'Etat vous y force en vous logeant ensemble dans un centre d'asile.»
Parmi les 179 députés du Folketing, 139 ont voté en faveur de l'acte d'accusation, 30 d'entre eux y étaient opposés et 10 n'ont pas participé au vote.
Ministre de l'Immigration de 2015 à 2019 dans un gouvernement de centre-droit soutenu par la droite anti-immigration DF, le Parti du peuple danois, Inger Støjberg assumait la politique d'accueil restrictive du Danemark et s'enorgueillait d'avoir fait adopter plus de 110 amendements restreignant les droits des étrangers.
Tenante d'une ligne anti-immigration et habituée à critiquer l'islam, elle avait suscité la polémique en posant avec un gâteau sur les réseaux sociaux pour fêter le cinquantième de ces amendements, en 2017.
C'est la troisième fois depuis 1910 qu'un responsable politique est renvoyé devant la Cour spéciale de justice, destinée à juger des ministres ayant commis des malversations ou négligences dans l'exercice de leurs fonctions.
Une probable amende
Le dernier cas remonte à 1993 avec le «Tamoulgate», le gel illégal du regroupement familial des réfugiés tamouls qui avait été décidé en 1987 et 1988 par l'ancien ministre de la Justice conservateur Erik Ninn-Hansen. Ce dernier avait écopé ensuite d'une peine de quatre mois de prison avec sursis.
«Dans le cas d'Erik Ninn-Hansen, des personnes sont certainement mortes à cause des décisions. Dans le cas d'Inger Støjberg, ce n'est pas aussi grave», a avancé Frederik Waage auprès de l'AFP, qui estime que la décision ministérielle pourrait avoir violé l'article 8 de la Convention européenne, lequel maintient que les familles ne doivent pas être séparées.
Si elle est déclarée coupable, Inger Støjberg devrait très certainement être condamnée à une amende, selon le professeur de droit.
Au pouvoir depuis 2019, les sociaux-démocrates de Mette Frederiksen ont peu changé la politique d'immigration du pays en vigueur sous la droite, prenant même de nouvelles initiatives.