Des avions espions qui sillonnent pendant plusieurs mois, au service de la police locale, une ville américaine de plus d'un demi-million d'habitants, le tout financé par un milliardaire dit «philanthrope» : l'affaire est digne d'un film d'anticipation...
La justice américaine s'est prononcée le 24 juin sur l'utilisation par la police de Baltimore (Maryland), d'un programme de surveillance aérienne de la population, fourni par la société privée Persistent Surveillance Systems (PSS). Mis à disposition des forces de l'ordre de la ville à partir d'avril 2020, il est désormais qualifié d'«inconstitutionnel» à l'issue d'une procédure d'appel initiée par le think tank local Leaders of a Beautiful Struggle. La justice a en effet estimé que le programme violait le quatrième amendement de la Constitution des Etats-Unis, dont le principe est de protéger les citoyens américains contre des perquisitions et saisies non motivées.
Alors que sur son site, l'entreprise PSS affirme vouloir «rendre le monde plus sûr en mettant sur le marché les systèmes d'imagerie à grande échelle les plus innovants», l'Union américaine pour les libertés civiles (ACLU) a de son côté rappelé sur les réseaux sociaux que le programme en question avait permis de «placer sous surveillance les mouvements de la quasi totalité des habitants de Baltimore 12 heures par jour pendant six mois».
Des avions espions qui surveillent la population
«Ce programme dystopique n'aurait jamais dû être autorisé à décoller. Les technologies invasives comme celles-ci n'ont pas leur place dans nos villes», a encore déclaré l'ACLU sur Twitter, en repartageant une courte présentation vidéo à charge contre le dispositif, qu'elle avait diffusée une première fois l'an passé.
L'association américaine y mettait déjà en garde contre la surveillance constante du milieu urbain par «des avions espions équipés de caméras haute résolution» qui, dans le cadre de l'accord signé début 2020 entre Baltimore et la société privée PSS, ont survolé la ville pendant plusieurs dizaines d'heures par semaine.
«Ce système permet à la police d'identifier n'importe quel citoyen, où qu'il aille, et d'observer toutes ses interactions. Il s'agit d'un dispositif invasif dans la vie des gens et qui permet à la police de s'affranchir de la présentation d'un quelconque mandat [auprès de ceux qu'elle observe]», souligne entre autres l'ACLU dans son clip vidéo. L'association y explique aussi que le programme de surveillance en question permet à la police de la ville d'établir des liens entre les prises de vue aériennes et des enregistrements des caméras de surveillance déjà installées dans la ville.
«Il s'agit de la victoire la plus importante pour le 4e amendement depuis un certain temps, et elle aura un impact national (et, espérons-le, international par le biais de normes). Nous pouvons légitimement espérer que nos mouvements quotidiens ne soient pas surveillés en permanence, et Baltimore a violé cette aspiration», a réagi le lanceur d'alerte Edward Snowden.
Un programme financé par l'entreprise d'un milliardaire philanthrope
Ainsi que le relatait déjà en août 2020 le mensuel Baltimore magazine, un avion «Cessna T207» équipé d'un système de caméras vidéo couleur de 192 mégapixels a commencé à «tourner en rond au dessus de la ville à des altitudes comprises entre 4 000 et 9 000 pieds, jusqu'à 11 heures par jour».
Et le magazine d'évoquer l'entrée en service d'autres avions similaires, si bien que «tout ce que les 600 000 habitants de Baltimore font à l'extérieur pourrait être enregistré sur 90 % de la ville par un œil quasi permanent dans le ciel». Selon le même mensuel, le programme en question a été financé à hauteur de 3,7 millions de dollars par un tiers : Arnold Ventures, «un fonds philanthropique [...] dirigé par John D. Arnold [ancien trader devenu en 2007 le plus jeune milliardaire des Etats-Unis]».
En 2016, une première tentative de surveillance de ce type à Baltimore avait fait parler d'elle après des révélations à son sujet publiées par Bloomberg. Le média américain avait en effet mis en lumière un programme secret de surveillance aérienne de la ville mené par la police locale. Pendant huit mois, des avions équipés de caméras avaient recueilli plus de 300 heures d'images, utilisées par la police pour enquêter sur des affaires de crimes. Ainsi que le raconte le mensuel californien Wired, «pratiquement personne en dehors des dirigeants du département de la police et du fournisseur PSS n'était au courant». Fait notable, selon le Baltimore Magazines, la compagnie Arnold Ventures avait déjà financé ce programme.