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Présidentielle au Pérou : Castillo en tête, Fujimori qui risque la prison demande un recomptage

Suspense au Pérou où les résultats officiels de la présidentielle se font toujours attendre. Avec une courte avance de moins de 70 000 voix, Pedro Castillo devrait l'emporter. Mais sa rivale, qui risque la prison, demande un nouveau décompte.

Les résultats officiels de la présidentielle au Pérou, dont le candidat de la gauche Pedro Castillo s'estime vainqueur, pourraient se faire attendre encore plusieurs jours, alors que sa rivale de droite, Keiko Fujimori, est menacée de retourner en prison.

L'instituteur syndicaliste Pedro Castillo était crédité le 10 juin au soir de 50,20% des suffrages et sa rivale de la droite libérale Keiko Fujimori de 49,80%, soit un écart très serré de 69 546 voix, selon l'Office national des processus électoraux (ONPE) péruvien qui a dépouillé 100% des bulletins de vote. Pedro Castillo a d'ores et déjà reçu les félicitations de plusieurs dirigeants voisins : Argentine, Nicaragua et Bolivie

Mais Keiko Fujimori qui se présentait pour la troisième fois à la mandature suprême conteste les résultats et a demandé le 9 juin l'invalidation de quelque 200 000 bulletins, issus de 802 bureaux de vote, devant le Jury national électoral (JNE). Elle avait dénoncé deux jours plus tôt des «irrégularités», des «indices de fraude» et «une claire intention de saboter la volonté du peuple». Des accusations intervenues au moment où les bulletins venant des campagnes – majoritairement favorables à Castillo – inversaient la tendance qui la donnait dans un premier temps gagnante. 

Une défaite pourrait conduire Keiko Fujimori en prison pour 30 ans

En plus d'une probable troisième défaite, Keiko Fujimori joue gros dans cette élection. Une défaite la priverait en effet de l'immunité présidentielle au moment où de nouvelles menaces d'emprisonnement pèsent sur elle. Début mars, 30 années de prison ont été requises à son encontre par le parquet et 22 ans contre son mari Mark Vito Villanella, dans le cadre de l'enquête sur le scandale Odebrecht, du nom du géant brésilien du BTP qui a reconnu avoir versé des pots-de-vin à de nombreux dirigeants latino-américains. Le 10 juin, le procureur en charge de l'affaire, José Domingo Pérez, a réclamé que la liberté conditionnelle dont jouit la candidate depuis mai 2020 soit «révoquée» car il dispose d'éléments de preuve «notoires» et «publics» qui attestent qu'elle serait en contact avec un témoin qu'elle n'avait pas le droit d'approcher dans le cadre de cette liberté conditionnelle. Keiko Fujimori a déjà passé 16 mois en détention provisoire dans cette affaire pour financement illicite de ses campagnes présidentielles passées. «Il n'y a aucune crainte que se concrétise cette [demande de] prison préventive», a toutefois assuré l'intéressée, proche des milieux d'affaires et des grands ténors du barreau péruvien.

Le Jury national électoral ne s'est pas prononcé sur la demande d'annulation formulée par Keiko Fujimori, mais n'en a pas moins entamé le lent processus de révision des bulletins litigieux, qui, selon lui, pourrait prendre plusieurs jours avant la proclamation du résultat. Pour l'heure ni les autorités électorales, ni les missions d'observation internationales, n'ont fait état de la moindre fraude. Le président du JNE, Jorge Luis Salas, s'est de son côté dit surpris de la demande de Keiko Fujimori d'invalider les résultats dans plus de 800 bureaux de vote. Il a rappelé que lors des dernières élections de 2016, «seuls 29 bureaux de vote avaient été remis en question».

Sans attendre le résultat officiel, qui maintient le pays sous tension, le président argentin de centre-gauche Alberto Fernandez a surpris en félicitant Pedro Castillo, le «président élu du Pérou». Cette réaction a valu à l'Argentine une «note de protestation» de la part du gouvernement péruvien, remise à l'ambassadeur argentin à Lima. Le Nicaragua par la voix de sa vice-présidente et porte-parole du gouvernement, Rosario Murillo, a également félicité Pedro Castillo pour sa «victoire», de même que le président bolivien Luis Arce sur Twitter. Les anciens présidents bolivien Evo Morales et brésilien Lula da Silva lui avaient eux aussi adressé leurs félicitations. Le président brésilien Jair Bolsonaro a pour sa part regretté d'avoir «perdu» le Pérou et estimé que seul «un miracle pourrait inverser la tendance».

Pedro Castillo appelle «à la paix et à la tranquillité»

Des centaines de partisans de Pedro Castillo s'étaient rassemblés le 9 juin au soir devant les bâtiments du JNE. «Nous sommes là de manière préventive pour que les votes contestés soient correctement vérifiés», a expliqué à l'AFP l'un d'entre eux, Juan Gustavo Diaz. Des partisans de Keiko Fujimori se sont également rassemblés dans le centre de la capitale pour soutenir leur candidate. «Communisme non, démocratie oui» ou encore «Jusqu'au dernier vote», pouvait-on lire sur des banderoles. Aucun incident n'a été déploré. «Ne tombons pas dans les provocations de ceux qui veulent voir ce pays dans le chaos. Par conséquent, nous appelons à la paix et à la tranquillité», a tweeté Pedro Castillo.

Le cardinal Pedro Barreto, qui lors d'une cérémonie à 20 jours du scrutin avait solennellement fait promettre aux deux candidats de respecter les institutions démocratiques, a qualifié le 10 juin d'«irresponsables» les actions remettant en cause le processus électoral et a appelé les candidats à accepter «la volonté du peuple». Les forces armées péruviennes ont exhorté la veille «tous les Péruviens à respecter les résultats du processus électoral» et se sont engagées «à respecter la volonté des citoyens exprimée dans les urnes». La marine péruvienne a également démenti le 10 juin toute velléité de complot après la diffusion d'une bande audio laissant entendre qu'une conspiration d'officiers navals contre «l'ordre constitutionnel» était en préparation. 

Meriem Laribi, avec AFP