Les militaires maliens mécontents du nouveau gouvernement annoncé par les autorités de transition ont arrêté le président et le Premier ministre le 24 mai, dans un coup de force secouant le pays plongé depuis des années dans une crise profonde. Le colonel Assimi Goïta a ainsi déclaré le 25 mai avoir déchargé de leurs prérogatives les deux figures de l'exécutif, en les accusant de tentative de «sabotage» de la transition.
Dans un communiqué commun, la mission de l'ONU au Mali (Minusma), la Communauté des Etats ouest-africains (Cédéao), l'Union africaine, la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni l'Allemagne et l'Union européenne ont condamné «fermement la tentative de coup de force» et, dans un communiqué, exigent «la libération immédiate et inconditionnelle» du président Bah Ndaw et du Premier ministre Moctar Ouane, conduits avec certains collaborateurs sous la contrainte par des soldats au camp militaire de Kati, à quelques kilomètres de Bamako, haut lieu de l'appareil militaire malien. C'est là que le président élu Ibrahim Boubacar Keïta avait été conduit de force le 18 août 2020 par des colonels putschistes pour annoncer sa démission. Ce sont semble-t-il les mêmes colonels qui sont à la manœuvre neuf mois plus tard. Leurs intentions ne sont pour l'heure pas connues.
Le Premier ministre avait indiqué plus tôt avoir été emmené par les militaires. «Je confirme : des hommes de Goïta sont venus me chercher pour me conduire chez le président qui habite non loin de ma résidence», a dit Moctar Ouane dans un bref échange téléphonique avec l'AFP, en faisant référence à l'homme fort malien, le colonel Assimi Goïta, actuel vice-président de la transition. La conversation s'est ensuite interrompue. Les deux chefs de l'exécutif de transition ont ensuite été escortés à Kati, où un haut responsable militaire a corroboré leur présence.
La communauté internationale proteste
La mission des Nations unies au Mali, la Cédéao, l'Union africaine, la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni l'Allemagne et l'Union européenne ont affirmé dans un communiqué commun «leur ferme soutien aux autorités de la transition». Ils ont rejeté par avance tout fait accompli, y compris une éventuelle démission forcée des dirigeants arrêtés.
Nous sommes prêts dans les prochaines heures à prendre des sanctions ciblées
Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a appelé dans un tweet «au calme» au Mali et à la «libération inconditionnelle» de ses dirigeants civils, arrêtés dans la journée par les militaires.
Les dirigeants européens ont «condamné avec la plus grande fermeté l'arrestation du président du Mali et de son Premier ministre», qui constitue «un coup d'Etat dans le coup d'Etat, inacceptable», a déclaré ce 25 mai Emmanuel Macron à l'issue d'un sommet européen.
«Nous sommes prêts dans les prochaines heures à prendre des sanctions ciblées» contre les protagonistes, a-t-il ajouté lors d'une conférence de presse.
La France a demandé une réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU. «Nous allons provoquer la réunion (du Conseil de sécurité) ce matin heure de New York (..) pour prendre en considération la grave situation au Mali"», a déclaré de son côté Jean-Yves Le Drian à l'Assemblée nationale.
Selon des diplomates, le Conseil de sécurité de l'ONU pourrait en effet tenir une réunion d'urgence dans les prochains jours sur la situation au Mali. Le médiateur de la Cédéao, Goodluck Jonathan, est annoncé dès ce 25 mai à Bamako, a-t-on appris de sources diplomatiques. Ces évènements sont survenus quelques heures seulement après l'annonce d'un nouveau gouvernement, que dominent toujours les militaires, mais dont ont été écartés des officiers proches de la junte qui avait pris le pouvoir après le coup d'Etat d'août 2020 et dont Assimi Goïta était le chef.
Les colonels avaient installé au bout de quelques semaines des autorités de transition, dont un président, Bah Ndaw – militaire retraité – et un gouvernement dirigé par Moctar Ouane, un civil. Ils s'étaient engagés, sous la pression de la communauté internationale, à rendre le pouvoir à des civils élus au bout de 18 mois, et non pas trois ans comme ils l'estimaient nécessaire.
Le respect du délai de la transition reste la priorité
Confronté à une contestation politique et sociale grandissante, le Premier ministre a présenté il y a dix jours la démission de son gouvernement et a été reconduit immédiatement dans ses fonctions par le président de transition Ndaw, avec la mission de former une équipe d'ouverture.
La grande inconnue était la place qui serait faite aux militaires, en particulier aux proches de l'ancienne junte, et l'inquiétude est allée grandissant ces derniers jours que les colonels ne se satisfassent pas des choix de Moctar Ouane. Dans le gouvernement annoncé par la présidence de transition, des militaires détiennent toujours les ministères de la Défense, de la Sécurité, de l'Administration territoriale et de la Réconciliation nationale.
Une révision constitutionnelle en suspens
Mais, parmi les changements annoncés dans un communiqué lu à la radio-télévision publique, deux membres de l'ancienne junte, les colonels Sadio Camara et Modibo Kone, quittent leurs portefeuilles respectifs de la Défense et de la Sécurité. Ils ont été remplacés respectivement par le général Souleymane Doucoure et par le général Mamadou Lamine Ballo.
Le nouveau gouvernement accueille également – à l'Education et aux Affaires foncières – deux ministres membres de l'Union pour la République et la Démocratie (URD), principale force politique du Mouvement du 5-Juin (M5), le collectif qui avait animé la contestation ayant débouché sur le renversement du président Keïta.
«Par ce remaniement, le président de transition et son Premier ministre ont voulu lancer un message ferme : le respect du délai de la transition reste la priorité», avait expliqué à l'AFP une source proche de la présidence ayant requis l'anonymat. Selon cette source, «un réajustement était nécessaire aux postes de la Défense et de la Sécurité», dont les nouveaux titulaires «ne sont pas des figures emblématiques de la junte».
Mi-avril, les autorités de transition ont annoncé l'organisation le 31 octobre d'un référendum sur une révision constitutionnelle promise de longue date et ont fixé à février-mars 2022 les élections présidentielle et législatives à l'issue desquelles elles rendraient le pouvoir à des dirigeants civils. Le doute persiste toutefois quant à leur capacité à tenir leur programme, a fortiori dans un contexte où les violences djihadistes et autres continuent sans relâche.
Mais le colonel Assimi Goïta a assuré le 25 mai, dans une déclaration lue à la télévision publique par un collaborateur en uniforme, que «le processus de transition suivra son cours normal et que les élections prévues se tiendront courant 2022».