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Turquie : arrestation de dix anciens amiraux opposés au projet «canal Istanbul»

Une enquête a été ouverte contre des militaires à la retraite pour «réunion visant à commettre un crime contre la sécurité de l'Etat et l'ordre constitutionnel». Ils ont co-signé une lettre dénonçant un projet de canal de navigation à Istanbul.

Dix amiraux turcs à la retraite ont été arrêtés le 5 avril après avoir émis des critiques, avec d'autres anciens officiers, concernant le projet d'un nouveau canal à Istanbul voulu par le président turc Erdogan, dans un pays où les prises de position politiques des militaires réveille les souvenirs de coups d'Etat passés.

Selon le bureau du procureur général d'Ankara, les dix amiraux retraités ont été placés en garde à vue. Ils font partie des 104 signataires d'une lettre ouverte alertant contre la menace que pourrait représenter selon eux le projet de «canal Istanbul», porté par le président Recep Tayyip Erdogan, pour un traité qui garantit le libre passage par le détroit du Bosphore. Quatre autres anciens officiers ont aussi été visés par des mandats d'arrêt mais n'ont pas été interpellés en raison de leur âge avancé. Ils ont reçu l'ordre de se présenter à la police d'Ankara dans les trois prochains jours.

Une enquête a été ouverte contre les militaires à la retraite pour «réunion visant à commettre un crime contre la sécurité de l'Etat et l'ordre constitutionnel», selon le bureau du procureur. Les amiraux signataires ont été privé du logement mis à leur disposition par l'Etat et leur droit à une protection, selon le journal Sabah.

Parmi les détenus figure notamment le contre-amiral Cem Gürdeniz, «père» de la doctrine controversée de la «patrie bleue» prévoyant l'établissement de la souveraineté turque sur de larges pans de la Méditerranée orientale. Les autorités turques se basent sur cette doctrine pour justifier leurs ambitions maritimes à l'origine des tensions entre la Turquie et la Grèce. Gürdeniz est aussi connu pour sa prise de position pour une alliance «eurasienne» qui implique un rapprochement de la Turquie avec la Russie, l'Iran et la Chine plutôt qu'avec ses partenaires occidentaux.

Débat ouvert sur la Convention de Montreux

De hauts responsables turcs ont vigoureusement condamné la lettre ouverte des amiraux, qui devait être aussi examinée le 5 avril lors d'une réunion au sommet de l'Etat présidée par Erdogan. «Il y a une différence entre exprimer ses idées et faire une déclaration sur un ton de coup d'Etat», a ainsi dénoncé le 4 avril le président du Parlement Mustafa Sentop.

L'intervention des militaires dans la politique reste un sujet sensible en Turquie où l'armée, se définissant comme le garant de la laïcité, a mené trois coups d'Etat entre 1960 et 1980 et a longtemps eu une influence déterminante sur les gouvernements. Après avoir mené des réformes ayant considérablement réduit le poids des militaires, Recep Erdogan a survécu en juillet 2016 à une tentative de coup d'Etat mené par des militaires factieux, qu'il a imputée aux partisans du prédicateur Fethullah Gülen, basé aux États-Unis.

L'approbation par la Turquie, le mois dernier, des plans de construction à Istanbul d'un canal de navigation comparable à ceux de Panama ou de Suez a ouvert le débat sur la Convention de Montreux. Le gouvernement argue que ce projet permettrait de doter la ville d'un nouveau pôle d'attractivité en plus de soulager le Bosphore, l'un des détroits les plus congestionnés du monde.

Mais les opposants affirment qu'outre son impact sur l'environnement, le projet pourrait compromettre la Convention de Montreux, datant de 1936, qui garantit le libre passage des navires civils dans les détroits du Bosphore et des Dardanelles, aussi bien en temps de paix que de guerre. Le traité impose cependant des restrictions au passage par les détroits turcs des navires de guerre n'appartenant pas aux pays riverains de la mer Noire. Selon certains observateurs, une éventuelle remise en question du traité par le biais du «canal Istanbul» pourrait faciliter l'accès des navires de guerre américains en mer Noire.

Dans leur lettre, les 104 amiraux à la retraite ont affirmé qu'il était «inquiétant» d'ouvrir un débat sur le traité de Montreux, estimant qu'il s'agit d'un accord qui «protège au mieux les intérêts turcs».