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Emeutes, présidence barricadée et médias suspendus : le Sénégal sous très haute tension

Après deux jours de violences faisant suite à l'arrestation d'Ousmane Sonko, les autorités sénégalaises se préparent à de nouvelles tensions. Accusé de viol, Sonko crie au complot et assure que le président Macky Sall veut lui barrer la route.

Ce 5 mars, la présidence sénégalaise et les bâtiments officiels du centre de Dakar sont placés sous haute protection après deux jours de troubles et à l'aube d'une journée de protestation contre l'arrestation d'Ousmane Sonko, le principal opposant au pouvoir.

Plusieurs quartiers de la capitale et des villes d'un pays réputé le plus stable d'Afrique de l'Ouest ont été le théâtre de saccages et de pillages de magasins et d'affrontements entre jeunes et forces de police, depuis le 3 mars.

Les incidents se sont poursuivis dans la banlieue de Dakar et un appel à manifester a été lancé pour le 5 mars, jour où Ousmane Sonko est censé être présenté à un juge. Son arrestation, le 3 mars sur le chemin du tribunal où il se rendait pour être interrogé sur des accusations de viols qu'il réfute, a provoqué la colère de ses partisans.

De nombreuses violences et un mort parmi les manifestants pro-Sonko

Le lieu où Ousmane Sonko se trouvait dans la matinée du 5 mars était incertain. Un de ses plus proches collaborateurs, Djibril Guèye Ndiaye, affirmant à la radio qu'il n'était plus à la gendarmerie quand on lui a fait porter un petit déjeuner.

L'arrestation de l'homme arrivé en troisième position à la présidentielle de 2019 – et pressenti comme l'un des principaux concurrents de Macky Sall lors de l'élection de 2024 – est aussi, selon de nombreux Sénégalais, emblématique de l'exaspération accumulée dans ce pays pauvre face à la dureté de la vie depuis au un an et le début de la pandémie de Covid-19.

Les manifestations ont fait au moins un mort le 4 mars dans le sud du pays. Le décès d'un adolescent (selon les réseaux sociaux) a également été rapporté par un élu local à Yeumbeul, dans la périphérie de Dakar, mais n'a pas été officiellement confirmé.

Dans la soirée du 4 mars, des manifestants ont attaqué les locaux du quotidien gouvernemental Le Soleil et de la radio RFM, appartenant au groupe de presse privé du chanteur et ancien ministre Youssou Ndour, deux institutions jugées proches du pouvoir.

Des témoins ont rapporté que des individus s'en prenaient en pleine nuit aux automobilistes qui empruntaient l'autoroute traversant la banlieue de Dakar.

La présidence barricadée

La journée du 5 mars s'annonce à haut risque. Outre un appel à manifester dans tout le pays, Ousmane Sonko doit être amené par les gendarmes à une heure non fixée devant un juge chargé d'enquêter sur les viols présumés dont il est accusé.

Ousmane Sonko avait été arrêté officiellement pour trouble à l'ordre public alors qu'il se rendait en cortège au tribunal pour être interrogé. L'un de ses avocats, Bamba Cissé, a déclaré redouter que son client ne soit écroué à l'issue de son audition. Une décision susceptible de faire redoubler la colère des soutiens d'Ousmane Sonko.

Un important dispositif de police a été mis en place autour du palais de justice dans le quartier de Dakar-Plateau, centre névralgique du pouvoir. A quelques centaines de mètres de là, les abords de la présidence ont été bouclés par des barrières derrière lesquelles des blindés sont positionnés. L'Assemblée nationale est également sous surveillance, selon l'AFP.

Le gouvernement prêt à prendre «toutes les dispositions nécessaires au maintien de l’ordre public»

Ousmane Sonko, 46 ans, fait l'objet depuis début février d'une plainte pour viols et menaces de mort par une employée d'un salon de beauté où il allait se faire masser pour, affirme-t-il, «soulager des douleurs de dos».

Le député au profil «antisystème» et au discours impétueux réfute cependant ces accusations. Il dénonce un complot ourdi, selon lui, par le président Macky Sall afin de l'écarter de la prochaine présidentielle. Celui-ci a démenti cette idée de conspiration mais a depuis gardé le silence sur l'affaire.

Le gouvernement a quant à lui condamné «fermement les actes de violence, les pillages et destructions» dans la soirée du 4 mars, et prévenu qu'il prendrait «toutes les dispositions nécessaires au maintien de l’ordre public». Il a aussi mis en garde «certains médias» contre les conséquences de leur couverture «tendancieuse».

Au même moment, les autorités ont annoncé suspendre le signal de deux chaînes de télévision privées coupables selon le pouvoir en place d'avoir diffusé «en boucle» des images de violence. Les réseaux sociaux ont aussi rapporté des perturbations sur internet.

L'ONG Amnesty International s'est exprimé sur la situation en ces termes dans un communiqué : «Les autorités sénégalaises doivent immédiatement cesser les arrestations arbitraires d’opposants et d’activistes, respecter la liberté de réunion pacifique et la liberté d’expression, et faire la lumière sur la présence d’hommes armés de gourdins aux côtés des forces de sécurité.»

Appels à «libérer le Sénégal» sur Twitter

Sur Twitter, le mot-clé #FreeSenegal («Libérez le Sénégal») s'est hissé le matin du 5 mars parmi les tendances les plus populaires, notamment en France. Plusieurs personnalités politiques ont en effet pris position sur la question.

L'activiste anti-colonialiste Kemi Seba a par exemple commenté les événements en inscrivant sur Twitter que «ce que les élites africaines ne font pas pour le peuple, le peuple le fera lui même», accompagnant son propos des mots-clés #FreeAfrica et #FreeSenegal («libérez l'Afrique» et «libérez le Sénégal»)

«Le peuple sénégalais avant et au-dessus de tout», a quant à lui déclaré le rappeur Youssoupha.

La militante et éditorialiste Rokhaya Diallo a encouragé ses abonnés à soutenir le hashtag #FreeSenegal, tout en dénonçant les «graves atteintes à la démocratie au Sénégal» ainsi que la «liberté d’expression et [les] moyens de communications brutalement restreints».