Le 3 janvier, l’armée française a effectué une frappe aérienne contre un groupe de djihadistes dans le désert du Sahel, selon le ministère de la Défense. Une version néanmoins contestée dès le lendemain de cette opération, qui s'est déroulée près du village de Bounti, au centre du Mali. Selon les témoignages de villageois et de différentes associations, les frappes auraient tué une vingtaine de civils.
Pour éclaircir les zones d'ombre, l’ONG Human Rights Watch a demandé l’ouverture d’une enquête indépendante, et la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) a envoyé des enquêteurs sur la zone du bombardement afin de déterminer si les frappes avaient touché des membres de mouvements djihadistes. Parallèlement, un nouveau témoignage vient alimenter la thèse de la bavure.
Abdoulaye, un habitant du village de Bounti, présent selon lui lors du bombardement, a témoigné pour France Info le 2 février. Selon sa version, les frappes ont bien touché les invités d'un mariage, comme le laissaient entendre certains témoignages : «Je rentrais du pâturage, je m’apprêtais à rejoindre les convives du mariage de l’un de mes proches, Allaye. J’ai entendu plusieurs explosions, c’était la panique.»
L’homme raconte avoir fui en direction de la brousse. «Il y avait deux avions, un qui volait très haut et un autre à basse altitude. Le bruit des bombes a été tellement fort que le sol a tremblé ; j’ai eu les oreilles bouchées, je n’entendais plus rien. Il y a eu plusieurs frappes, l’une après l’autre. Quand je suis revenu, j’ai découvert le carnage, on n’arrivait pas à identifier les victimes.» Il affirme également qu'«il n’y avait que des civils réunis lors du mariage. Nous étions plus d’une cinquantaine d’hommes assis sous des arbres où il fait plus frais». Et d'ajouter : «Nous devions déjeuner et prendre le thé, à l’ombre, dans un champ à l’extérieur du village. Il y avait trois groupes, éloignés les uns des autres : celui des personnes âgées, un autre plus jeune et un dernier composé d’enfants et d’adolescents».
La défense de l'armée française reste inflexible
Pour le témoin de France Info, «personne ne portait une arme, aucun d’entre nous ne sait se servir d’une arme. Si la France prétend avoir frappé des djihadistes, qu’elle apporte les preuves, on veut voir les photos et les vidéos».
Il est hors de question de fournir des images qui permettraient à nos […] ennemis actuels de dévoiler nos modes d’action
La défense de l'armée française est restée inflexible depuis le début. La version du communiqué de l'état-major français du 7 janvier est tout à fait différente de celle des villageois : «Plus d'une heure avant la frappe, un drone Reaper a détecté une moto avec deux individus au nord de la RN16 [axe routier reliant Bamako à Gao]. Le véhicule a rejoint un groupe d'une quarantaine d'hommes adultes dans une zone isolée. L'ensemble des éléments renseignement et temps réel ont permis d'identifier formellement ce groupe comme appartenant à un GAT [groupe armé terroriste]».
Sur France 24 le 2 février, le colonel Frédéric Barbry, porte-parole de l’état-major des armées, a maintenu cette défense. Pour lui, le processus de ciblage était «parfaitement maîtrisé» et «la force Barkhane a décelé, identifié, reconnu, caractérisé des éléments constitutifs d’un groupe armé terroriste». Par la suite, «après une évaluation des éventuels dommages collatéraux qu’il n'y a pas eu, puis suivant des règles d’engagement très strictes et d'un niveau de validation au niveau de l’état-major, il a été décidé de frapper cette cible militaire».
L'officier français confirme qu'«il y a eu une frappe avec trois bombes». Et d'ajouter : «En ce qui concerne les images, les choses sont très claires […] il est hors de question de fournir des images qui permettraient à nos […] ennemis actuels de dévoiler nos modes d’action et de leur donner un avantage significatif».
Dans une dépêche publiée fin janvier, l'AFP rappelait que des villageois et une association peule affirmaient qu'une frappe aérienne française près du village de Bounti avait tué une vingtaine d'habitants lors d'un mariage, le 3 janvier.