Le Washington Post a publié dans la soirée du 3 janvier l'enregistrement audio d'un appel téléphonique entre Donald Trump et le secrétaire d'Etat de la Géorgie Brad Raffensperger, dans lequel les deux hommes discutent des résultats de l'élection. Initialement, le Washington Post n'a publié que de courts extraits de cet appel – qui a au total duré une heure –, accusant le chef d'Etat d'avoir fait pression sur Brad Raffensperger pour que ce dernier «recalcule le vote».
Réitérant des accusations de fraudes, le chef d'Etat justifie ses demandes par sa conviction que l'élection lui a été «volée». «Vous savez ce qu'ils ont fait et vous n'en parlez pas : c'est un délit», soutient le chef d'Etat. Ce à quoi Brad Raffensperger réplique : «Nous pensons que nos chiffres sont bons.»
«Il n'y a pas de mal à dire que vous avez recalculé», peut-on encore entendre dire Donald Trump sur cet enregistrement. «Tout ce que je veux, c'est trouver 11 780 bulletins, [soit un de plus que l'avance dont dispose Joe Biden en Géorgie]. Parce que nous avons gagné l'Etat», ajoute-t-il ensuite dans les quelques minutes diffusées par le Washington Post.
Si le média tire de cette phrase la conclusion que Donald Trump exhorte Brad Raffensperger «à modifier le résultat du vote présidentiel», c'est vite oublier le contexte dans lequel elle a été prononcée. La retranscription complète de l'appel, fournie quelques heures plus tard par le Washington Post, montre que Donald Trump ne fait qu'exiger un décompte honnête des bulletins de vote, comme il le fait par ailleurs fréquemment publiquement. Et s'il demande à Brad Raffensperger de «trouver» le nombre de votes nécessaires pour dépasser Joe Biden dans l'Etat, c'est qu'il lui donne auparavant de multiples exemples de bulletins selon lui frauduleux, qui lui donneraient bien davantage de votes que ce dont il a besoin si un audit sérieux était mené sur la question.
Election décisive pour le Sénat en Géorgie
Le camp démocrate s'est empressé de son côté de dénoncer des «pressions» du chef d'Etat «potentiellement répréhensibles». «Le mépris de [Donald] Trump pour la démocratie est mis à nu», a par exemple lancé l'élu de la Chambre des représentants Adam Schiff.
Comme souvent, il faut peut-être regarder ailleurs pour comprendre pourquoi s'est déclenchée cette tempête... dans un verre d'eau. La diffusion de cet enregistrement le 3 janvier – et son interprétation discutable – ne doit probablement rien au hasard. Elle survient en effet à la veille d'une élection en Géorgie, cruciale pour le contrôle du Sénat. Les républicains David Perdue et Kelly Loeffler affrontent dans un climat extrêmement tendu les démocrates Jon Ossoff et Raphael Warnock. Pour que la chambre haute passe dans le giron démocrate, leurs candidats devront impérativement remporter les deux sièges, un pari loin d'être gagné d'avance.
Cette diffusion intervient par ailleurs à trois jours d'une session du Congrès lors de laquelle doit avoir lieu la certification des votes du Collège électoral. Or cette session s'annonce particulièrement houleuse, onze sénateurs républicains et des dizaines d'élus de la Chambre des représentants ayant annoncé leur intention de présenter des objections à la certification des résultats, sur la base d'allégations de fraude portées par Donald Trump.
Le chef d'Etat et son équipe juridique multiplient en effet depuis des semaines les accusations d'irrégularités et de fraude électorale dans plusieurs Etats clés. Des centaines de témoignages, des vidéos d'incidents présumés, ou encore des analyses statistiques ont été présentés au cours de plusieurs audiences publiques à l'appui de ces accusations. Mais à l'heure actuelle, le chef d'Etat n'a pas obtenu de succès probant devant la justice, la Cour suprême refusant de statuer sur ces allégations.
Quoi qu'il en soit, ces éléments ont convaincu la majorité des électeurs républicains – et même certains démocrates – que l'élection n'avait pas été «juste», à en croire les sondages. Alors que la bataille pour l'opinion publique semble tourner en faveur du président républicain à l'approche de deux événements politiques déterminants, voilà qui explique peut-être la volonté des démocrates de monter en épingle une affaire qui n'en est pas une.
En tout état de cause, à quelques jours du terme – probable – de la présidence Trump, la petite musique jouée semble toujours la même : après trois ans de soi-disant collusion russe, et une procédure de destitution lancée suite à un coup de téléphone entre le chef d'Etat américain et son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky, le mandat de Donald Trump se terminera-t-il sur une nouvelle polémique artificielle ?
Frédéric Aigouy