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Navalny affirme avoir piégé au téléphone un agent du FSB ayant participé à son empoisonnement

L'opposant russe Alexeï Navalny a affirmé avoir piégé au téléphone un agent des services de sécurité russes pour lui faire admettre qu'il avait bien été victime d'un empoisonnement. Moscou parle de «provocation».

«J'ai téléphoné à mon assassin. Il a tout avoué». C'est avec ce titre que l'opposant russe Alexeï Navalny a diffusé une vidéo sur YouTube où il affirme avoir piégé au téléphone un agent du Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie (FSB). Selon Navalny, cet enregistrement serait une preuve qu'il a bel et bien été la victime d'un empoisonnement cet été en Sibérie. 

Alexeï Navalny a publié sur son blog sa conversation avec Konstantin Koudriavtsev, présenté comme un expert en armes chimiques travaillant pour le FSB. Toutefois, le rôle précis de ce dernier dans cette affaire d'empoisonnement présumé n'est pas détaillé. L'opposant russe, qui se trouve actuellement en Allemagne, explique avoir déguisé son numéro de téléphone et s'être présenté comme un assistant du Secrétaire du Conseil de sécurité, Nikolaï Patrouchev, un proche de Vladimir Poutine. Il aurait ainsi fait croire à Konstantin Koudriavtsev avoir besoin de son témoignage pour rédiger un rapport sur la tentative d'assassinat de l'opposant.

Konstantin Koudriavtsev n'est pas le seul qu'Alexeï Navalny a cherché à contacter. CNN affirme qu'il appelait initialement ces personnes sous son identité, mais que celles-ci mettaient alors fin à la discussion en raccrochant le téléphone. Avec Koudriavtsev, son équipe a usé d'une approche différente. Si Navalny n'apporte pas de preuve concernant l'identité de son interlocuteur, il affirme dans son blog que «toute expertise vocale démontrera qu'il s'agit bien [de Konstantin Koudriavtsev]». Se montrant hésitant au cours de l'entretien, l'intéressé aurait néanmoins parlé pendant plus de 45 minutes au téléphone, selon Navalny.

Durant la conversation Navalny et son interlocuteur ont abordé plusieurs sujets, dont l'atterrissage en urgence de l'avion à bord duquel se trouvait l'opposant russe au moment de son malaise, l'agent toxique qui aurait été utilisé contre lui ainsi que d'autres détails de l'empoisonnement présumé.

Si les autorités russes n'ont pas réagi dans l'immédiat à cette diffusion, le Service fédéral de sécurité a estimé que la vidéo publiée par Navalny était une «falsification» et qualifié cette enquête sur son empoisonnement présumé de «provocation».

«La vidéo avec [cette] conversation téléphonique est une falsification», a affirmé le FSB dans un communiqué, cité par les agences de presse russes, ajoutant que «la prétendue "enquête" diffusée par Alexeï Navalny» constituait «une provocation planifiée» qui n'aurait pas été possible «sans le soutien technique et organisationnel de services spéciaux étrangers».

La vidéo a été vue par plus de trois millions d'utilisateurs durant les premières heures qui ont suivi sa publication. L'enregistrement ainsi que certaines phrases du présumé opposant russe ont vite été repris sur les réseaux sociaux, souvent sous forme de mèmes ou blagues moquant l'aspect grotesque de la conversation.

L'enquête de l'opposant russe largement appuyée par le site britannique Bellingcat

L'opposant russe a affirmé avoir obtenu le numéro de téléphone de l'agent du FSB via Bellingcat, qui a publié la semaine dernière, avec plusieurs médias, une enquête affirmant identifier huit agents du FSB, dont Koudriavtsev, qui auraient été impliqués dans une filature de l'opposant depuis des années. Dans la vidéo de Navalny, on aperçoit d'ailleurs Christo Grozev, enquêteur de Bellingcat qui aurait participé à la réalisation de cette vidéo aux côtés de Navalny. Bellingcat a identifié à plusieurs reprises ces dernières années, grâce à des données récoltées en ligne, des agents présumés impliqués dans des opérations des services spéciaux russes. Des accusations toujours rejetées par Moscou. Le site a notamment publié les noms des hommes du renseignement militaire russe qui seraient responsables, selon lui, de l'empoisonnement en Angleterre au Novitchok de l'ancien agent double, Sergueï Skripal.

Le 14 décembre, plusieurs médias, dont le site Bellingcat, l'américain CNN et l'allemand Der Spiegel ont publié une enquête accusant des experts en armes chimiques des services spéciaux russes d'avoir filé l'opposant Alexeï Navalny, y compris le jour de son empoisonnement présumé. La Russie a, à maintes reprises, démenti que l'opposant ait été empoisonné à Tomsk le 20 août, et affirmé que la substance toxique de type Novitchok détectée par des laboratoires occidentaux après son hospitalisation en Allemagne n'était pas présente dans son organisme lorsqu'il était traité en Russie.

Bellingcat a publié les noms et les portraits de ces hommes présentés comme des spécialistes des substances chimiques. Ils assuraient une filature régulière de l'opposant russe depuis 2017, selon cette source qui a analysé quantité de données ayant fait l'objet de fuites en ligne en Russie. L'article n'établit pourtant aucun contact direct entre ces agents et l'opposant, ni de preuve d'un passage à l'acte ou d'un ordre donné.

«Je sais qui a voulu me tuer, je sais où ils habitent, je sais où ils travaillent, je connais leurs vrais noms, je connais leurs alias et j’ai leurs photos», a réagi dans la foulée Navalny qui a repris en détail l'enquête des médias sur son blog. 

Moscou voit dans l'enquête des médias occidentaux la main d'acteurs étatiques 

Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a jugé «comique» l'enquête de plusieurs médias, dont la chaîne américaine CNN, accusant les services spéciaux russes d'avoir pris en filature l'opposant Alexeï Navalny avant son empoisonnement. «Toutes ces nouvelles sont comiques à lire», a réagi Lavrov lors d'une conférence de presse à Zagreb pendant une visite officielle en Croatie.

«Mais la façon dont ces nouvelles sont présentées ne révèle qu'une chose : l'absence d'éthique chez nos partenaires occidentaux et de compétences diplomatiques normales», a-t-il poursuivi, semblant voir la main d'acteurs étatiques dans l'enquête publiée la semaine dernière.

Si la Russie avait voulu empoisonner Navalny, il serait mort, estime Poutine

L'affaire Navalny ainsi que l'enquête sur son empoisonnement présumé a été sans surprise l'un des sujets abordés lors de la conférence de presse donné par le président russe le 17 décembre. Interrogé à ce sujet, Vladimir Poutine a laissé entendre que Navalny était surveillé mais a démenti tout empoisonnement.

Le chef de l'Etat russe a affirmé qu'Alexeï Navalny n'avait pas été empoisonné par ses services spéciaux, car autrement il serait mort.

«Le patient de la clinique berlinoise a le soutien des services spéciaux américains [...] Et comme c'est le cas, il doit être surveillé par les services spéciaux. Mais ça ne veut pas dire qu'il fallait l'empoisonner», a ironisé Poutine. «Si on l'avait voulu, l'affaire aurait été menée à son terme», a-t-il dit lors de sa conférence de presse annuelle.

Vladimir Poutine a d'ailleurs balayé la récente enquête de plusieurs médias, dont Bellingcat, CNN et Der Spiegel. «Ce n'est pas une enquête, mais la légitimation de contenus (préparés) par les services spéciaux américains», a estimé le chef d'Etat russe.

La Russie a, à maintes reprises, démenti que l'opposant ait été empoisonné à Tomsk et affirmé que la substance toxique de type Novitchok détectée par des laboratoires occidentaux après son hospitalisation en Allemagne n'était pas présente dans son organisme lorsqu'il était traité en Russie.

Diverses autres versions ont été évoquées par les responsables russes, dont une mise en scène ou une intoxication orchestrée par les services spéciaux étrangers.