Exécutions extrajudiciaires, traitements inhumains infligés à des prisonniers de guerre et d'autres captifs, ou encore profanation de cadavres de soldats ennemis et de civils… Plusieurs centaines de vidéos, partagées sur des applications de messagerie à partir du 22 novembre, montrant des crimes de guerre commis lors du conflit dans la région du Haut-Karabagh ont été décryptées par The Guardian le 15 décembre et authentifiées par Amnesty international quatre jours plus tôt.
«La perversité et la cruauté qui ressortent de ces vidéos reflètent l'intention délibérée des deux parties [Azerbaidjanais et Arménien] de causer de très graves préjudices et d'humilier les victimes. Toutes ces exactions, en violation flagrante du droit international», a déclaré l'ONG qui milite pour le respect des droits de l'homme.
Des soldats azéris accusés d'avoir décapité des civils arméniens
Parmi les centaines de vidéos dévoilant des atrocités, tortures et meurtres, diffusées pour certaines plus d'un mois après le cessez-le-feu total signé entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan sous l'égide de la Russie, deux d'entre elles montrent des exécutions extrajudiciaires par décapitation de civils arméniens réalisées par des hommes portant l'uniforme de l'armée azerbaïdjanaise.
Dans ces deux vidéos, The Guardian a réussi à identifier les victimes grâce à plusieurs témoignages d'habitants des villages où les crimes ont été commis, corroborant ainsi les rapports d'un médiateur du gouvernement du Haut-Karabagh soutenu par l'Arménie, Artak Beglaryan, et de deux avocats arméniens des droits de l'homme, Siranush Sahakyan et Artak Zeynalyan.
Le journal britannique rapporte que Genadi Petrosyan, 69 ans, habitant le village de Madatashen dans le Haut-Karabagh depuis la fin des années 1980, a été décapité par des hommes portant l'uniforme de l'armée azerbaïdjanaise munis d'un couteau. Sa tête a ensuite été placée sur une carcasse de porc. «C'est comme ça que nous nous vengeons, en coupant des têtes», dit une voix hors caméra en azéri, selon The Guardian et Amnesty international.
Cette vidéo vient mettre fin à plusieurs semaines de silence et d'angoisse concernant le sort de Genadi Petrosyan. L'avocat Artak Zeynalyan a déclaré, d'après The Guardian, que ce-dernier avait été identifié en passant au peigne fin les rapports sur 35 personnes disparues dans la région, puis en contactant des connaissances, qui ont confirmé son identité.
L'avocate Siranush Sahakyan a elle aussi confirmé l'identité de Genadi Petrosyan et a déclaré qu'elle préparait une enquête sur le meurtre avec son collègue. Les deux avocats ont également appelé la communauté internationale à redoubler d'efforts pour enquêter sur les crimes de guerre résultant du conflit entre Azerbaidjanais et Arméniens.
Dans la seconde vidéo publiée le 7 décembre sur une l'application Telegram et décrite par le Guardian, deux hommes portant l'uniforme de l'armée azerbaïdjanaise décapitent Yuri Asryan, 82 ans, qui avait refusé de quitter le village le 20 octobre dernier à l'approche des forces azerbaïdjanaises. .
Comme pour la première victime, Artak Beglaryan et Siranush Sahakyan ont confirmé l'identité du vieil homme décapité dans la vidéo, grâce à plusieurs témoignages de sa famille et d'habitants du village.
Dans une troisième vidéo, Amnesty international a identifié «un homme en uniforme étendu au sol, bâillonné et ligoté. Il appartenait à la patrouille azerbaïdjanaise des frontières. L'auteur de la vidéo s'adresse à lui en arménien avant de lui planter un couteau dans la gorge. Une analyse médicolégale indépendante a confirmé que la blessure infligée a dû causer sa mort en quelques minutes.»
Amnesty international appelle Bakou et Erevan à mener des enquêtes
De son côté, Amnesty international a analysé pas moins de 22 vidéos documentant des crimes de guerre commis par les forces azerbaïdjanaises et arméniennes lors des récents affrontements dans le Haut-Karabagh.
L'homicide intentionnel, la torture, les traitements humiliants ou dégradants, la profanation des cadavres constituent des crimes de guerre
Au vu de leurs enquêtes sur ces vidéos, l'ONG rappelle «que le droit international interdit expressément de se livrer à des actes de violence et de cruauté contre une personne détenue, notamment les prisonniers de guerre. Il interdit également de mutiler des cadavres». Et d'ajouter : «L'homicide intentionnel, la torture, les traitements humiliants ou dégradants, la profanation des cadavres constituent des crimes de guerre.»
C'est pourquoi Amnesty international intime les autorités azerbaïdjanaises et arméniennes à «mener sans délai des investigations indépendantes et impartiales afin d'identifier tous les responsables. Les auteurs mais aussi les officiers ayant ordonné, autorisé ou cautionné ces crimes, doivent être traduits en justice».
En outre, de nouvelles vidéos montrant des actes de torture et des crimes continuent d'être diffusées sur divers canaux. Ce qui pourrait signifier, selon The Guardian, que les violences se poursuivent encore actuellement ou qu'elles ont perduré bien après l'accord de cessez-le-feu signé le 10 novembre.
Bakou annonce l'arrestation de quatre militaires azerbaïdjanais
Parallèlement à l'échange de plusieurs dizaines de prisonniers de guerre et d'otages entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie, avec la participation d'organisations internationales et le commandement des forces de maintien de la paix russes, Bakou a annoncé le 14 décembre dernier l'arrestation de quatre militaires azerbaïdjanais.
Dans le cadre d'une enquête publique sur les crimes de guerre commis par Bakou et Erevan ouverte le mois dernier par le procureur général d'Azerbaïdjan, deux soldat azerbaïdjanais sont accusés d'avoir «insulté les corps de soldats arméniens morts pendants les hostilités» et les deux autres d'avoir «détruit des pierres tombales appartenant à des Arméniens dans un cimetière» situé dans la zone où se menaient les combats. Les quatre hommes avaient filmé leurs actions et diffusé les vidéos sur les réseaux sociaux.
Une enquête a été ouverte pour «traitements cruels ou inhumains» et une autre pour «profanation de tombes ou de cadavre», d'après un communiqué du Parquet azerbaïdjanais cité par l'AFP. Ce-dernier a par ailleurs dénoncé des actes «inacceptables contraires à la mentalité du peuple azerbaïdjanais».