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Remdésivir : Gilead aurait-il caché des informations à la Commission européenne ?

La commande de 500 000 doses de remdésivir passée par la Commission européenne pour un traitement jugé inefficace par l'OMS marque un échec majeur de la politique sanitaire de l'UE. Comment le groupe Gilead a-t-il réussi à vendre son traitement ?

Le 8 octobre, la Commission européenne annonçait satisfaite avoir passé un important contrat avec le laboratoire Gilead d'un montant d'un milliard d'euros pour la commande de 500 000 doses de remdésivir. Cette molécule utilisée dans le traitement contre Ebola devait pouvoir lutter contre le Covid-19 avant que l'on se rende pourtant compte de son inopérance.

En ajoutant les 37 pays européens qui ont signé un contrat avec le laboratoire américain il s'agit d'un total de 640 000 doses qui ont été commandées au laboratoire comme le rapporte une enquête duMonde. La France, seul grand pays européen à ne pas avoir passé commande fait toutefois figure d'exception sur le continent. 

Un médicament déconseillé par l'OMS

Le scandale a éclaté le 20 novembre, lorsque l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a rendu publique sa recommandation de ne pas administrer le traitement en raison de son inefficacité contre le Covid-19. L'OMS pointe même «la possibilité d’importants effets secondaires» sur les reins, entre autres, ainsi que son coût important et la lourdeur du traitement.

Les experts de l'OMS fondent leurs conclusions sur l'analyse de quatre essais cliniques internationaux comparant l'efficacité de différents traitements et portant sur plus de 7 000 patients atteints du Covid-19. Parmi ces essais cliniques, une étude lancée en février baptisée Solidarity, devait évaluer l’efficacité du remdésivir et le comparer avec trois autres traitements, dont celui utilisant l’hydroxychloroquine rapporte l'AFP. 

Les conclusions de Solidarity ont été contestées par le laboratoire pharmaceutique dans une déclaration le 15 octobre. Celui-ci estime qu'il n'est pas possible d'obtenir «des résultats concluants de cette étude». Une critique qui a provoqué l'ire des chercheurs participant à l'étude Solidarity, dont celle Marie-Paule Kieny, directrice de recherche à l'INSERM et ancienne responsable de l'OMS interrogée par la revue scientifique Science : «C'est épouvantable de voir comment Gilead essaie de dénigrer Solidarity [...]Prétendre que le protocole de recherche n'a aucune valeur parce qu'il se déroule dans des pays à faible revenu n'est qu'un préjugé», a regretté la chercheuse.

La Commission bernée par Gilead ?

Interrogé au sujet de ce contrat par la revue Science, un porte-parole de la Commission a confié à la revue scientifique que celle-ci n'a été informée des résultats de Solidarity que le lendemain de la signature du nouveau contrat.

«La Commission a pris connaissance des résultats de Solidarity le 9 octobre à la suite du rapport de [l'EMA] lors de la réunion du groupe de travail Covid-19 le même jour», a déclaré le porte-parole avant de préciser : «Il n'y a eu aucune discussion avec l'OMS sur l'étude en cours avant la signature du contrat avec Gilead.»

Le géant pharmaceutique a-t-il cherché à  dissimuler ces mauvais résultats à la Commission ? Lorsque Science a interrogé Gilead sur les raisons de son silence à propos des résultats de Solidarity lors des négociations avec la Commission, la société a reconnu avoir reçu un projet de rapport de l'OMS à la fin du mois de septembre, mais qu'il était «fortement expurgé». Pourtant, selon la revue scientifique américaine, «l'OMS aurait affirmé que les seules informations masquées concernaient les résultats relatifs aux autres médicaments utilisés dans l'essai en raison d'accords de confidentialité avec leurs fabricants».

A la suite de la décision de la Commission européenne, de nombreux pays européens ont passé commande et se retrouvent désormais dans l'obligation d'honorer leur contrat pour un médicament au prix de 390 dollars la dose, soit 2 340 dollars (1 970 euros) pour un traitement à l'efficacité contestée. Le laboratoire justifie le prix de son médicament par «une sortie plus rapide de l’hôpital [qui] permettrait de faire une économie d’environ 12 000 dollars par patient.» Ainsi la firme estime avoir «décidé de fixer le prix du remdésivir bien en dessous de ce montant».

Pourtant, d'après les calculs d’une équipe de chercheurs anglais, américains et australiens, le coût total de fabrication du remdésivir se situe aux alentours de 0,93 dollar par dose, soit 5,58 dollars pour un traitement en six doses. Un traitement qui coûte donc 420 fois moins cher que le prix fixé par Gilead.

Le traitement s'est révélé dans un premier temps une aubaine pour l'action du groupe sur les marchés financiers. Gilead a vu le prix de ses actions en bourse passer de 65,23 dollars à 84 dollars entre l'annonce des résultats in vitro favorables en janvier et l'autorisation d'utilisation d'urgence aux Etats-Unis le 1er mai, avant de lentement dégringoler au fil des critiques scientifiques pour atteindre la valeur de 59,5 dollars, à la suite des dernières annonces de l'OMS du 20 novembre. 

Un contrat qui choque certains politiques

Cette opération financière choque des deux côtés de l'échiquier politique. Ainsi Gilbert Collard, député européen du Rassemblement national a déclaré sur l'antenne de RT France que les Européens sont «le bétail d'un système pharmaco-financier qui a décidé de rentabiliser nos vies». Avant de s'étonner de la «promotion supersonique» du remdésivir en parallèle des précautions prises contre l'hydroxychloroquine.

«Cela pose la question des profits des entreprises pharmaceutiques en général, de leur stratégie pour écouler leurs médicaments et des influences sur les différentes institutions», dénonce quant à lui le médecin Karim Khelfaoui, expert pour les questions de santé pour La France insoumise contacté par RT France. A l'origine d'une initiative avec d'autres médecins européens pour faire passer les brevets médicaux dans le champ public, le médecin regrette que «ces traitements et vaccins ont déjà été payés par de l'argent public puisque Gilead a déjà touché des financements publics pour développer ce médicament». «Il y a tellement peu de transparence dans le contrat entre la Commission européenne et Gilead alors que tous les éléments étaient la pour indiquer que ce traitement n'était pas efficace», conclut Karim Khelfaoui.

Charles Demange