A l'image des forces gravitationnelles qu'elle exerce sur nos mers et océans, son éclat dans la nuit a de tout temps inspiré les cultures de l'humanité. L'étude des possibilités qu'offre la Lune n'a jamais été aussi proche des enjeux de notre époque.
Comme l'a rapporté le 27 novembre 2020 l'Agence spatiale européenne (connue sous l'acronyme anglophone ESA), des ingénieurs britanniques mettent actuellement au point «un procédé qui sera utilisé pour extraire l'oxygène de la poussière lunaire [tout en générant] des poudres métalliques qui pourraient être imprimées en 3D dans les matériaux de construction d'une base lunaire». L'annonce intervient un mois jour pour jour après la signature d'un accord entre l'ESA et la Nasa pour coopérer sur une passerelle lunaire dans le cadre du programme spatial habité de l'agence américaine, baptisé Artemis, qui prévoit notamment une présence humaine sur notre satellite d'ici 2024.
En route vers la première usine extraterrestre ?
Evoquant «une première étape vers l'établissement d'une usine d'extraction d'oxygène extraterrestre», l'agence se montre enthousiaste à l'idée de futurs développements qui pourraient permettre de maintenir la vie sur la Lune «tout en évitant le coût énorme de l'envoi de matériaux depuis la Terre». En effet, expliquant dans un premier temps que l'oxygène généré serait principalement utilisé afin de fabriquer du carburant pour fusée, l'ESA souligne également que l'élément chimique en question pourrait «fournir de l'air aux colons lunaires».
Dans le cadre de ce projet, l'agence spatiale a fait appel à la société britannique Metalysis qui entend adapter sur la Lune un procédé d'extraction qu'elle a déjà mis au point sur Terre, notamment pour produire des métaux destinés à l'industrie. «Au début de cette année, il a été démontré que [le procédé] fonctionnait bien avec un régolite lunaire simulé», assure l'ESA, mentionnant ici un terme qui désigne la couche de poussière produite par l'impact des météorites à la surface de la Lune.
La Chine lance une mission express sur la Lune
Quelques jours plus tôt, l'agence spatiale chinoise (CNSA) procédait au lancement de la sonde Chang'e 5, le 24 novembre depuis la base de Wenchang, située sur l'île de Hainan. Celle-ci doit rapporter sur Terre deux kilogrammes de divers échantillons de poussières et des cailloux lunaires d'ici mi-décembre, selon futura-sciences qui évoque «une mission express démontr[ant] le niveau de maturité et de maîtrise atteint par la Chine dans le domaine de la robotique et des technologies spatiales».
La sonde doit récolter ces matières «dans l'océan des Tempêtes, la plus grande des mers lunaires, où de nombreux engins soviétiques et américains se sont posés, ainsi que la mission Apollo 12 en novembre 1969», rapporte encore le site spécialisé, rappelant ainsi que cette mission n'est pas une première dans l'histoire de l'exploration spatiale par l'Homme.
En tout état de cause, les accomplissements chinois en la matière ont été salués par la Russie, selon qui le domaine spatial est très prometteur pour la coopération bilatérale entre les deux pays. «Nous nous félicitons naturellement des réalisations de nos alliés, nos collègues chinois, dans le domaine de l'exploration spatiale […] La coopération dans l'exploration spatiale est l'un des domaines qui présente le plus grand potentiel d'interaction bilatérale», a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, cité par l'agence de presse TASS.
Un objet céleste de plus en plus attractif
Potentiellement génératrice d'enthousiasme en matière de coopérations entre pays, la conquête de l'espace présente également des aspects plus préoccupants dans le contexte d'une compétition internationale accrue, précisément en ce qui concerne l'exploitation de la Lune, le seul satellite naturel permanent de notre planète.
Au-delà des projets lunaires susmentionnés menés par les agences spatiales européenne, américaine et chinoise, d'autres pays entendent se frayer – ou consolider – leur place dans la course à la l'exploration de notre satellite : la Russie (qui du temps de l'URSS a été la première à avoir atteint le corps céleste avec une sonde), l'Inde, Israël ou encore les Emirats arabes Unis.
Les hommes sont en train de poser les jalons d'une appropriation de l'espace
Bien que les fondements juridiques de l'exploration spatiale – inscrits dans le traité de l'espace entré en vigueur le 10 octobre 1967 – stipulent que toute zone située au-delà de la couche d'ozone constitue un bien commun de l'humanité, ils comportent leur lot de subtilités, laissant une marge de manœuvre significative aux différents acteurs de la conquête spatiale. Ces subtilités sont ainsi évoquées par le journaliste Guillaume Pitron dans son ouvrage La Guerre des métaux rares (2019, Éditions Les Liens qui libèrent) : «Les hommes sont en train de poser les jalons d'une appropriation de l'espace. Ce sont les Etats-Unis qui ont tiré les premiers : en 2015, le président Obama a ainsi signé le US Commercial Space Launch Competitiveness Act […] Les Américains ne remettent pas frontalement en cause les acquis du droit international instituant le principe de non-propriété des corps célestes ; ils revendiquent en revanche un droit d'appropriation des richesses qui s'y trouvent.»
Un constat confirmé par certaines actualités de l'année.
Les Etats-Unis ne considèrent pas l’espace extra-atmosphérique comme un bien commun mondial
«Au printemps, les Etats-Unis ont, en deux temps, bousculé le vieux consensus international sur l’exploitation et l’appropriation des ressources "extraterrestres", celles que l’on pourra tirer de la Lune et, à plus long terme, des astéroïdes», pouvait-on lire dans les colonnes du quotidien Le Monde le 7 juillet dernier.
L'article en question évoque d'abord un décret présidentiel signé en avril par Donald Trump, selon lequel «les Etats-Unis ne le considèrent pas [l’espace extra-atmosphérique] comme un bien commun mondial». Le journal revient ensuite sur «la liste des 10 grands principes pour un avenir dans l’espace», présentée au mois de mai par Jim Bridenstine, l’administrateur de la Nasa. «Deux des principes viennent bousculer le statu quo du droit spatial en voulant le moderniser», relevait alors Le Monde. A travers le premier, qui porte sur l’appropriation des ressources lunaires par ceux qui les exploiteront, la Nasa entend notamment que la répartition des avantages de l'exploitation lunaire prenne en compte «les efforts des pays qui ont contribué, soit directement, soit indirectement, à l’exploration de la Lune». Le second principe fait état de «zones de sécurité» entourant les installations lunaires des uns et des autres, zones qui seraient établies pour «prévenir des interférences nuisibles», précisait le même article.
«Nous n'accepterons en aucun cas une quelconque tentative de privatisation de la Lune. C'est illégal, cela va à l'encontre du droit international», n'avait alors pas tardé à déclarer le PDG de l'agence spatiale russe Roscosmos, Dmitri Rogozine, cité par TASS. «A notre avis, la passerelle lunaire, dans sa forme actuelle, est trop centrée sur les Etats-Unis», a-t-il encore estimé fin octobre à l'occasion du 71e Congrès international d'astronautique.
Alors que les débats sur la gestion des ressources naturelles terrestres s'intensifient proportionnellement à l'augmentation des besoins humains, les perspectives de futures découvertes sur la Lune s'inscrivent sans nul doute dans les progrès à venir de l'humanité. Cependant, elles s'accompagnent d'ores et déjà de tensions qui pourraient s’accroître dans la course à l'exploitation d'un objet céleste pour le moins convoité…
Fabien Rives