Tout ça pour ça ? La libération récente de 200 prisonniers contre quatre otages, négociée par le pouvoir malien avec un groupe djihadiste combattu depuis des années par la France, parfois au prix du sang, laisse un goût amer dans les rangs militaires français.
«Quand on passe ses nuits à construire des digues et que quelqu'un met un coup de pied dedans, ça ne fait pas plaisir», souffle un haut gradé sous couvert d'anonymat. Un résumé lapidaire de la frustration vécue par certains au sein des armées françaises, alors que 5 100 des leurs sont déployés dans la bande sahélo-saharienne pour faire barrage aux djihadistes.
Ultime humiliation, le chef touareg malien Iyad Ag Ghaly, chef de l'alliance djihadiste affiliée à Al-Qaïda «Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans» (GSIM), s'est affiché sur les réseaux sociaux en compagnie des prisonniers libérés, à l'occasion d'un fastueux banquet en leur honneur.
L'affiliation djihadiste de ces 200 ex-détenus, libérés contre quatre otages, dont l'humanitaire française Sophie Pétronin, n'est pas avérée. Nombre d'entre eux sont de simples suspects, parfois arrêtés lors de vastes coups de filet. Mais certains étaient «des chefs de katiba» arrêtés par les soldats de la force anti-djihadiste Barkhane et remis aux autorités maliennes, selon un militaire français. D'après une enquête de Libération, au moins 29 des prisonniers libérés avaient été capturés par les soldats français.
La France, dont la ligne officielle est de «ne pas négocier avec les terroristes», a pris ses distances avec les tractations. «Cette négociation a été conduite par le Mali et la décision de libérer des djihadistes, en particulier, appartient aux seules autorités maliennes», a insisté le 13 octobre la ministre des Armées Florence Parly.
Soucieux de préserver le moral des troupes et de ne pas voir minée la légitimité de Barkhane, à laquelle Paris s'efforce d'associer de plus en plus de renforts européens, la ministre et l'état-major ont pris soin d'insister sur leur détermination à poursuivre l'opération.
Vers d'autres négociations ?
«Il doit être très clair, pour l'ensemble des familles qui ont perdu des leurs dans le combat que nous menons au Mali depuis des années, que nous ne dévions pas de ligne, que notre combat reste le même et qu'il est tout aussi légitime qu'il l'était», a souligné le 13 octobre le chef d'Etat-major français, le général François Lecointre.
Des assurances qui n'empêchent pas le doute de s'instiller sur le bien-fondé de la mission, qui peine à contenir la menace djihadiste au Sahel malgré des succès sur le terrain.
D'autant que l'idée de négocier avec les djihadistes semble séduire d'autres acteurs. Le commissaire de l'Union africaine à la Paix et la Sécurité, Smaïl Chergui, a ainsi appelé à «explorer le dialogue avec les extrémistes» au Sahel et «les encourager à déposer les armes», dans une tribune parue dans le journal suisse Le Temps.
Et le responsable de dresser un parallèle avec l'accord conclu entre Américains et taliban afghans en février: il «peut inspirer nos Etats membres pour explorer le dialogue avec les extrémistes et les encourager à déposer les armes».
En France, le doute commence à transpirer. «Nous avons perdu 50 soldats depuis le début de ces opérations et près de 500 militaires ont été blessés», a rappelé le 13 octobre le président de la commission défense du Sénat français, Christian Cambon.
Emmanuel Macron avait annoncé en juillet qu'il comptait rendre de nouveaux arbitrages «en fin d'année» sur l'engagement français au Sahel.