Après Guillaume Soro, Laurent Gbagbo. Pour la seconde fois en 10 jours, la Cour africaine de justice a désavoué les autorités ivoiriennes, ordonnant à Abidjan le 25 septembre de réintégrer l'ex-président sur la liste électorale pour la présidentielle du 31 octobre.
Dans son jugement, la Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples (CADHP) commande à l'Etat ivoirien de «prendre toutes mesures nécessaires en vue de lever immédiatement tous les obstacles empêchant le requérant (Laurent Gbagbo) de s'enregistrer sur la liste électorale».
En effet, l'ex-chef d'Etat (2000-2010) ne figure pas sur les listes électorales révisées en 2020, et ne peut donc ni voter, ni être candidat. Mi-septembre, le Conseil constitutionnel ivoirien avait rejeté la candidature de Laurent Gbagbo à la présidentielle.
Selon les autorités ivoiriennes, cette décision fait suite à la condamnation de Laurent Gbagbo par la justice nationale à 20 ans de prison dans l'affaire dite du «braquage de la BCEAO», la Banque centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest, lors de la crise post-électorale de 2010-2011.
Le Conseil constitutionnel a également argué que le dossier de Laurent Gbagbo ne comprenait pas de déclaration signée de sa main faisant acte de candidature. Par ailleurs, il n'a pas renoncé à son poste de membre de droit du Conseil constitutionnel en tant qu'ancien président de la République, ce qui, selon le Conseil, l'empêche de se présenter. Saisie par l'ancien chef d'Etat ivoirien début septembre, la Cour africaine, qui siège à Arusha (Tanzanie), ordonne aussi à Abidjan de «suspendre la mention de la condamnation pénale du casier judiciaire».
Seules quatre candidatures validées
Auprès de l'AFP, l'avocat de Laurent Gbagbo, Claude Maintenon, s'est dit «satisfait» du jugement, tout en notant que «l'application dépend du bon vouloir de l’Etat». Le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement ivoirien, Sidi Touré, a jugé pour sa part que la CADHP «[était] dans sa logique d'attenter à la souveraineté de l’Etat» ivoirien. «Les questions électorales relèvent de notre souveraineté nationale», a-t-il insisté.
Acquitté en première instance de crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale de La Haye, Laurent Gbagbo, 75 ans, attend en Belgique un éventuel procès en appel. Il ne peut pas rentrer en Côte d'Ivoire, les autorités du pays refusant de lui délivrer un passeport, selon ses avocats.
Le Conseil constitutionnel ivoirien a refusé 40 des 44 candidatures à la présidentielle d'octobre, dont celles de Laurent Gbagbo et de l'ex-chef rebelle et ex-Premier ministre Guillaume Soro. En revanche, elle a validé la candidature controversée à un troisième mandat du président sortant Alassane Ouattara. Il y a 10 jours, la CADHP a demandé à la Côte d'Ivoire de permettre la candidature de Guillaume Soro, refusée par la Cour constitutionnelle ivoirienne après sa condamnation à 20 ans de prison pour «recel de détournement de deniers publics». Il est également accusé de «tentative d’insurrection».
«Soro comme Gbagbo ont été écartés, car leur casier judiciaire n'est pas vierge. Tous deux le savaient parfaitement : leurs candidatures relèvent de la provocation», a déclaré Alassane Ouattara dans un entretien publié le 24 septembre par l'hebdomadaire français Paris Match.
Une quinzaine de morts dans les manifestations contre Alassane Ouattara
La tension politique est forte en Côte d'Ivoire à un peu plus d'un mois du scrutin présidentiel. Il y a 10 ans, la crise née de l'élection de 2010, après le refus de Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite face à Alassane Ouattara, avait provoqué 3 000 morts. En août, une quinzaine de personnes ont été tuées après l'annonce de la candidature de Ouattara, qualifiée de «forfaiture» par l'opposition.
La Constitution limite à deux le nombre de mandats présidentiels, mais le Conseil constitutionnel a estimé que l'entrée en vigueur d'une nouvelle Constitution en 2016 remet le compteur à zéro pour l'actuel chef de l'Etat. Une interprétation contestée par l’opposition.
Accusant la Cour africaine de porter «atteinte à la souveraineté de la Côte d’Ivoire», Abidjan lui a «retiré sa déclaration de compétence» en avril et, de fait, se désintéresse depuis de ses décisions.
Ce retrait est intervenu après que la CADHP a ordonné de suspendre les procédures judiciaires à l'encontre de Guillaume Soro, qui l'avait saisie.
Abidjan reste cependant juridiquement lié à ses décisions. La Cour africaine note en effet dans son jugement que le retrait de compétence ne devient effectif qu'à «l'expiration du délai d'un an», soit à partir d'avril 2021. Ce retrait de compétence signifie seulement que l'Etat ivoirien ne permet plus à la cour de «recevoir des requêtes d'individus et d'organisations non-gouvernementales».