La junte malienne doit conserver le même engagement face aux groupes djihadistes, pour éviter que tous les efforts accomplis ces derniers mois ne soient perdus, a fait savoir ce 27 août le chef d'état-major français, François Lecointre.
Le putsch du 18 août – qui a renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta – n'a pas modifié le défi sécuritaire au Sahel, a souligné le général Lecointre qui a appelé les nouvelles autorités à ne pas relâcher leurs efforts dans une région où la force française Barkhane a déployé 5 100 hommes.
Nous allons voir si les armées maliennes sont en mesure de garder le tempo, cela nous paraît essentiel, sauf à voir perdus tous les efforts réalisés
Depuis Talinn en Estonie, le chef d'état-major des armées françaises a déclaré à un groupe de journalistes : «Notre souhait c'est de maintenir l'engagement de l'armée malienne dans la lutte contre les groupes armés terroristes.» Et de préciser que la France a «un certain nombre d'exigences» pour la reprise du contrôle de certains territoires dans la zone dite des trois frontières, entre Mali, Niger et Burkina Faso.
Avant de poursuivre : «Nous allons voir si les armées maliennes sont en mesure de garder le tempo [...]. Nous leur avons indiqué que ça nous paraissait essentiel, sauf à voir perdus tous les efforts réalisés depuis le sommet de Pau [en janvier 2020].»
Lecointre oscille entre prudence et assurance
Le général Lecointre a également laissé entendre que le quotidien des opérations n'était pas modifié : «Les chefs de corps sont toujours là, les commandants de zone sont toujours là, ce ne sont pas des gens qui ont participé au coup d'Etat, et donc nous continuons à coopérer avec eux.»
Prudent, le chef d'état-major français a encore souligné : «Nous avons pris contact avec la junte pour leur indiquer qu'il nous paraissait essentiel de ne pas relâcher la pression sur les groupes terroristes. On va voir comment ça va se passer dans les jours qui viennent.» L'Agence France-Presse ajoute que le chef d'état-major a pris acte de l'interruption par les Américains de leur coopération militaire avec les Forces armées maliennes et qu'il a par ailleurs encouragé l'Union européenne à relancer sa mission de formation de l'armée malienne (EUTM Mali), également suspendue.
François Lecointre a également réitéré la volonté de Paris que la junte «remette son pouvoir entre les mains de civils pour mettre en place un régime de transition qui permettra d'ouvrir la voie à un régime démocratique.»
Plus vous restez longtemps, plus vous avez de chances de faire partie du problème
Si le président Macron s'était voulu rassurant vis-à-vis des pays africains en janvier 2020 lors de la réunion du G5 à Pau en déclarant «la France n’est pas là avec des objectifs néocoloniaux, impérialistes ou économiques [mais] pour la sécurité collective de la région et la nôtre», le sentiment anti-français au Mali a culminé à l'automne 2019 au Mali avec des manifestations qui ont en partie précipité cette rencontre en France.
Interrogé par le journal Le Monde ce 27 août, Yvan Guichaoua, expert du Sahel à l'Ecole d'études internationales du Kent, fait l'analyse suivante : «Les Français veulent, je pense, rester influents dans leurs anciennes colonies et avoir ce leadership dans cette sorte de division mondiale du travail [...]. C’est une façon de perpétuer le récit de la grandeur française auprès de l’opinion publique française… Nous sommes toujours une grande puissance, [mais] plus vous restez longtemps, plus vous avez de chances de faire partie du problème.»
Les Etats-Unis et l'UE suspendent leur soutien : la France et sa task force isolées ?
Du côté des Etats-Unis, Peter Pham, émissaire américain pour le Sahel a, lui, averti le 21 août : «Il n’y a plus ni formation, ni soutien aux forces armées du Mali. Nous avons tout arrêté jusqu'à ce que nous puissions clarifier la situation. [...] On ne sait pas clairement quelles sont les forces impliquées dans la mutinerie […] ni vers où vont les loyautés.»
L'Union européenne elle-même a suivi un cheminement similaire. «Nos missions ont été temporairement suspendues en raison des circonstances», a ainsi déclaré Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne, lors d’une conférence de presse le 26 août en Allemagne à l’issue d’une réunion des ministres européens de la Défense.
Difficile de ne pas y voir une déveine pour le contingent français qui venait de lancer la «task force Takuba» en collaboration avec l'Estonie en juillet 2020 avec pour mission de s'attaquer aux groupes djihadistes de la zone du Liptako malien, au cœur des Trois frontières... dans l'attente de l'engagement «d'autres contributions européennes, notamment tchèques puis suédoises [...] dans les mois à venir», ainsi que l'annonçait le site officiel du ministère des Armées le 20 août. Quelle sera désormais la position de la Suède et de la République tchèque à cet égard ? Le ministre français des Armées, Florence Parly, avait également tweeté le même jour : «L’opération Barkhane [...] se poursuit.» Faudrait-il y lire une manière de se rassurer après la chute du dirigeant d'un des piliers du G5 Sahel ?
Antoine Boitel