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«L'autocensure est devenue la norme» : une éditorialiste claque la porte du New York Times

Traitée de «nazie», lasse d'être intimidée par certains de ses collègues progressistes, Bari Weiss a démissionné du New York Times, où le débat d'idée n'est selon elle plus possible : «La vérité est une orthodoxie déjà connue de quelques éclairés.»

Dans la foulée de l'élection de Donald Trump – qu'il n'avait absolument pas vu venir – le New York Times, un des quotidiens les plus lus outre-Atlantique, avait décidé d'ouvrir sa rubrique opinion à des éditorialistes de tous bords. L'objectif affiché était de sortir de sa «chambre d'écho» qui telle une bulle idéologique imperméable lui masquait certaines réalités d'un pays qu'il ne comprenait plus.

Or, comme en témoigne la démission fracassante de Bari Weiss, une des éditorialistes engagés dans cette optique, le projet a fait long feu. Dans une lettre au vitriol rendue publique, Bari Weiss explique comment les journalistes progressistes du quotidien seraient parvenus, petit à petit, à éliminer de la rédaction toute opinion divergente de la leur.

«Les leçons qui auraient dû suivre l'élection – des leçons sur l'importance de comprendre les autres Américains, la nécessité de résister au tribalisme et l'importance du libre échange d'idées dans une société démocratique – n'ont pas été apprises», soutient ainsi Bari Weiss. «Au lieu de cela un nouveau consensus a émergé dans la presse, mais peut-être surtout dans ce journal : que la vérité n'est pas un processus de découverte collective mais une orthodoxie déjà connue de quelques éclairés dont le travail consiste à informer tout le monde», attaque-t-elle encore.

Qui plus est, à en croire Bari Weiss, les méthodes employées par les progressistes pour parvenir à leurs fins n'ont rien de très éthique. Elle évoque ainsi des intimidations constantes de la part de collègues qui n'hésitent pas à la traiter de «nazie» ou encore de «raciste», voire à la diffamer publiquement sur Twitter en la qualifiant de «menteuse», simplement parce qu'elle ne partage pas leur point de vue. «Certains collègues insistent sur la nécessité que je sois mise dehors pour que l'entreprise soit vraiment "inclusive", tandis que d'autres affichent sur [l'application professionnelle Slack] des émoticônes de hache à côté de mon nom», poursuit-elle.

«L'histoire est de plus en plus modelée pour s'inscrire dans un récit prédéterminé»

Pourtant, à lire ses éditoriaux, Bari Weiss peut difficilement être considérée comme une extrémiste. La journaliste se définit d'ailleurs elle-même comme centriste. Néanmoins, dans le climat actuel de telles positions s'avèrent déjà intolérables aux yeux de nombre de ses collègues qui se livrent donc à un «nouveau maccarthysme», selon les propos qu'elle prête à ses discrets soutiens dans la rédaction. Un état de fait qu'elle dénonce et déplore dans son courrier : «Venir travailler en tant que centriste dans un quotidien américain ne devrait pas nécessiter du courage.»

Si la démission de Bari Weiss constitue une véritable onde de choc aux Etats-Unis, c'est qu'elle témoigne d'un malaise qui va bien au delà de la simple divergence d'opinion au sein d'une rédaction. Elle traduit la nécessité de plus en plus impérieuse de devoir se conformer aux «mœurs et à l'éthique de Twitter», selon la journaliste. En effet, le réseau social est devenu d'après elle «le véritable rédacteur en chef» d'un quotidien dont les sujets sont «choisis et écrits de façon à satisfaire un lectorat très étroit, plutôt que pour permettre à un public curieux de lire sur le monde, et d'en tirer ses propres conclusions».

Pourquoi publier quelque chose qui interpelle nos lecteurs [...] alors que nous pouvons assurer la sécurité de l'emploi (et des clics) en publiant notre 4000e éditorial soutenant que Donald Trump est un danger pour le pays et pour le monde ?

Par conséquent, c'est selon elle la fabrique même de l'information qui s'en trouve altérée pour coller aux idéaux progressistes qui prédominent sur Twitter. «On m'a toujours appris que les journalistes étaient chargés d'écrire le premier brouillon de l'histoire. Désormais, l'histoire elle-même est une chose éphémère, de plus en plus modelée pour s'inscrire dans un récit prédéterminé», regrette-t-elle ainsi.

«Pourquoi publier quelque chose qui interpelle nos lecteurs ou écrire quelque chose d'audacieux – qui doit passer par un processus engourdissant dans le but de le rendre idéologiquement casher –, alors que nous pouvons assurer la sécurité de l'emploi (et des clics) en publiant notre 4000e éditorial soutenant que Donald Trump est un danger pour le pays et pour le monde ? L'autocensure est donc devenue la norme», explique-t-elle. De quoi faire craindre au quotidien de se heurter de nouveau au mur de la réalité à l'occasion de la présidentielle américaine ? Réponse dans quelques mois.

Frédéric Aigouy