«By Vladimir Putin», ce n'est pas tous les jours que l'on peut voir apparaître cette signature dans la presse et surtout celle des Etats-Unis. L'occasion s'y prête, la revue américaine The National Interest, spécialisée dans la politique étrangère, publie un long article une semaine avant le défilé militaire − qui a été reporté pour cause de pandémie − en mémoire de la victoire contre le nazisme. Le texte très détaillé rédigé personnellement par le président russe Vladimir Poutine, promis depuis plusieurs mois, est intitulé «Les vraies leçons du 75e anniversaire de la Seconde Guerre mondiale».
Dans sa tribune, le président russe revient sur les causes de l'ascension d'Adolf Hitler et les origines du conflit le plus meurtrier de l'histoire de l'humanité. Poutine cite la faiblesse de la Société des Nations, fondée après la Première Guerre mondiale, comme l'une des principales causes de cette guerre. En revanche il loue les vainqueurs de 1945 qui ont mis en place les Nations unies, dotées d'une base juridique plus solide et plus efficace, dans le but d'empêcher de futures guerres «brûlantes» entre grandes puissances.
Après une explication des origines et de l'héritage de la Seconde Guerre mondiale, Poutine revient également sur le problème de la vérité historique et de son importance pour les défis majeurs des relations internationales d'aujourd'hui.
Les principaux facteurs qui ont induit la plus grande tragédie de l'Histoire de l'humanité ont été l'égoïsme d'État, la lâcheté, l’indulgence face à un agresseur montant en puissance et la réticence des élites politiques à rechercher un compromis
Poutine rappelle que la Seconde Guerre mondiale ne s'est pas déclenchée du jour au lendemain, n'a pas commencé de façon inattendue et soudaine. «Les principaux facteurs qui ont précipité la plus grande tragédie de l'Histoire de l'humanité ont été l'égoïsme d'État, la lâcheté, l’indulgence face à un agresseur montant en puissance et la réticence des élites politiques à rechercher un compromis», estime le président russe.
Selon Vladimir Poutine, toutes les grandes puissances dans le monde ont été responsables d'une manière ou d'une autre du déclenchement de cette guerre. «Chacune d'entre elles a commis des erreurs fatales, croyant avec arrogance pouvoir déjouer les autres, obtenir des avantages unilatéraux ou rester à l'écart de la catastrophe mondiale imminente», écrit-il.
Contre le révisionnisme historique et la destruction de la mémoire
En 1945, ils triomphaient d'Hitler et du Japon impérial, mais 75 ans plus tard le révisionnisme historique et la destruction de la mémoire s’installent dans de nombreux pays, estime Vladimir Poutine. Selon lui cela constitue une menace pour l'ordre international mis en place par les alliés à l’issue de la Seconde Guerre mondiale.
« La mise en place du système actuel de relations internationales est l'un des résultats les plus importants de la Seconde Guerre mondiale. [...] Il est de notre devoir – à tous ceux qui assument des responsabilités politiques, et principalement les représentants des puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale – de garantir que ce système sera maintenu et amélioré », souligne Vladimir Poutine dans son article.
Même les oppositions les plus inconciliables – géopolitiques, idéologiques, économiques – n'empêchent pas de trouver des formes de coexistence et de coopération pacifiques s’il y a un souhait et une volonté dans ce sens
Le président russe se dit convaincu que «même les oppositions les plus inconciliables – géopolitiques, idéologiques, économiques – n'empêchent pas de trouver des formes de coexistence et de coopération pacifiques s’il y a un souhait et une volonté dans ce sens. »
Vladimir Poutine attire aussi l'attention sur les tentatives actuelles du Conseil de l'Europe de réévaluer les résultats de la Seconde Guerre mondiale et même d'accuser effrontément l'URSS d'avoir contribué au déclenchement du conflit. Le président russe considère ce phénomène comme une preuve que certains pays ne sont plus prêts à coopérer aujourd'hui. «Dans la poursuite de leurs objectifs, ils augmentent le nombre et l'ampleur des attaques médiatiques contre notre pays, cherchent à nous obliger à nous justifier, à nous sentir coupables, ils adoptent des déclarations complètement politisées, hypocrites», s'insurge Vladimir Poutine. «Par exemple, la résolution sur l'importance de la mémoire européenne pour l'avenir de l'Europe approuvée par le Parlement européen le 19 septembre 2019 accusait explicitement l'URSS – à côté de l'Allemagne nazie – d'avoir déclenché la Seconde Guerre mondiale. Évidemment, sans aucune mention [des Accords] de Munich », constate le dirigeant russe.
Malheureusement, elle a fait preuve d’une politique délibérée de destruction de l'ordre mondial d'après-guerre dont la mise en place était une question d'honneur et de responsabilité des pays dont un certain nombre de représentants ont voté aujourd'hui pour cette déclaration mensongère
En dénonçant cette attitude des responsables européens, Vladimir Poutine exprime son inquiétude et son indignation face à cette volonté de réécrire l'histoire. «Je considère que de tels "papiers", car je ne peux pas qualifier de document cette résolution, comportent de réelles menaces, même si le but n’était, de toute évidence, que de provoquer un scandale. Après tout, cette résolution a été adoptée par une institution très respectée. Et qu'a démontré cette institution ?» s'interroge le chef de l'Etat russe. «Malheureusement, elle a suivi une politique délibérée de destruction de l'ordre mondial d'après-guerre dont la mise en place était une question d'honneur et de responsabilité des pays, et un certain nombre de représentants de ces derniers ont voté aujourd'hui pour cette déclaration mensongère. Ainsi ont-ils porté un coup aux conclusions du Tribunal de Nuremberg et aux efforts de la communauté internationale qui a su créer des institutions internationales universelles après la victoire de 1945», regrette Vladimir Poutine.
Selon Vladimir Poutine, la prise en considération des faits historiques réels et leur juste évaluation permet également à comprendre le fonctionnement de l'Europe actuelle. « Je rappelle à cet égard que le processus d'intégration européenne, au cours duquel ont été créées les structures correspondantes, comme le Parlement européen, n'est devenu possible que grâce aux leçons du passé et à l'appréciation claire donnée à ce passé du point de vue juridique et politique. Et ceux qui remettent en permanence en question ce consensus détruisent les fondements de l'Europe de l'après-guerre », note le dirigeant russe.
En regardant vers l'avenir de nouveaux défis apparaissent
Le 24 juin, la capitale russe accueillera le traditionnel défilé célébrant la Victoire sur le nazisme et qui cette année a été reporté pour cause de coronavirus. Cette commémoration symbolique permet non seulement d'évoquer le passé, elle incite également à se rendre compte d'un certain nombre de nouveaux défis qui rythment notre actualité aujourd'hui. 75 ans après la guerre, Vladimir Poutine estime que la crise sanitaire et économique mondiale actuelle exige des alliés de la Seconde Guerre mondiale qu'ils s'unissent une nouvelle fois.
Aujourd'hui, compte tenu de la pandémie de Covid-19 et de ses retombées économiques, le président russe exhorte les principaux alliés d'hier − désormais membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies − à faire front commun. Les dirigeants de la Grande-Bretagne, de la Chine, de la France et des États-Unis ont déjà accepté l'idée de participer à un sommet proposé par Moscou.
Notre capacité à travailler ensemble et de concert, comme de vrais partenaires, déterminera la gravité de l'impact de la pandémie et la rapidité avec laquelle l'économie mondiale sortira de la récession
«Un point particulier à l'ordre du jour de la réunion est la situation de l'économie mondiale. Et surtout, les moyens de surmonter la crise économique induite par la pandémie de coronavirus», écrit Vladimir Poutine. «Nos pays adoptent des mesures sans précédent pour protéger la santé et la vie des gens et pour soutenir les citoyens qui se sont retrouvés dans des situations difficiles. Notre capacité à travailler ensemble et de concert, comme de vrais partenaires, déterminera la gravité de l'impact de la pandémie et la rapidité avec laquelle l'économie mondiale sortira de la récession.»
Vladimir Poutine souhaite également aborder les problèmes de sécurité. «À notre avis, il serait utile de discuter des étapes nécessaires afin de mettre en place des principes collectifs de gestion des affaires mondiales», ajoute-t-il. «Pour parler franchement des questions comme la préservation de la paix, le renforcement de la sécurité mondiale et régionale, la maîtrise des armements stratégiques, ainsi que des efforts conjoints de lutte contre le terrorisme, l'extrémisme et d'autres défis et menaces majeurs.»
Il ne fait aucun doute qu'un sommet réunissant la Russie, la Chine, la France, les États-Unis et le Royaume-Uni peut jouer un rôle important dans la recherche de réponses communes aux défis et menaces modernes
«Il ne fait aucun doute qu'un sommet réunissant la Russie, la Chine, la France, les États-Unis et le Royaume-Uni peut jouer un rôle important dans la recherche de réponses communes aux défis et menaces modernes.» Un tel événement «démontrerait un engagement commun envers l'esprit d'alliance, envers les idéaux et valeurs humanistes élevés pour lesquels nos pères et nos grands-pères se sont battus côte à côte», conclut le président russe.
«Il est de notre devoir − tous ceux qui assument des responsabilités politiques, et principalement les représentants des puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale − de garantir que ce système sera maintenu et amélioré», souligne Poutine.