L'insupportable révisionnisme historique et la destruction des monuments et de la mémoire constituent une menace pour l'ordre international mis en place par les alliés victorieux à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, selon le président russe Vladimir Poutine.
Publié par la revue The National Interest ce 18 juin, le texte de Poutine réexamine certains faits historiques peu connus pour répondre à certains discours de plus en plus populaires en Occident – y compris à l'idée selon laquelle l'Union soviétique aurait été aussi responsable que l'Allemagne d'Hitler dans le déclenchement de la guerre, ou celle qui prétend que les Alliés occidentaux auraient gagné cette guerre, occultant totalement l'immense contribution soviétique.
Le texte de Vladimir Poutine est cependant plus qu'une polémique sur l'Histoire du siècle dernier. Tout en cherchant à rétablir la vérité, le président russe évoque également une raison importante l'ayant poussé à prendre la plume. Ainsi, il explique que le révisionnisme historique «déforme largement et cyniquement la compréhension des principes» énoncés en 1945 par les Alliées, sur lesquelles se fonde l'ordre international actuel.
À l’heure actuelle, cet ordre est attaqué – non pas par la Russie, comme le prétendent en permanence les puissances occidentales, mais par l'Occident lui-même – par un révisionnisme historique concernant les origines de la Seconde Guerre mondiale, l'effacement de la mémoire, la destruction des monuments et même la glorification de collaborateurs nazis.
De telles exemples ne manque pas, à commencer par la déclaration de l'Union européenne de l'an dernier selon laquelle l'Allemagne nazie et l'URSS auraient enclenché la guerre ensemble, en envahissant la Pologne – ce qui est une version officielle de Varsovie et une falsification sans vergogne de l'histoire –, ou par les déclarations récentes de la Maison Blanche et du Pentagone qui n'accordent aucun mérite à l'Union soviétique pour sa victoire sur les nazis ou pour la libération du camp d'extermination d'Auschwitz.
Il y a moins de deux semaines, le secrétaire d'État américain Mike Pompeo a profité de l'anniversaire du débarquement en Normandie pour attribuer aux Etats-Unis tous les mérites de la victoire lors de la Seconde Guerre mondiale, redéfinir rétrospectivement les causes de la guerre et même diaboliser le gouvernement chinois en établissant une comparaison totalement inappropriée avec l'Allemagne nazie.
Poutine, en revanche, rend hommage à la Chine pour sa lutte contre l'impérialisme japonais, reconnaît la contributions des États-Unis et du Royaume-Uni et mentionne même les forces de la France libre, souvent négligées. Tout en rappelant à tout le monde que près de 27 millions de citoyens soviétiques ont péri pendant cette guerre, il exprime sa reconnaissance pour l'aide fournie par l’Occident dans le cadre du programme Prêt-Bail, qui représentait «environ 7% de l’équipement militaire totale de l'Union soviétique».
En plus d'effacer l'URSS de l'histoire, l'Occident embrasse et blanchit ceux qui collaboraient avec Hitler, surtout en Europe de l'Est, en invoquant une équivalence morale entre les nazis et les Soviétiques. Poutine mentionne en particulier l'Ukraine et les pays baltes, où de telles rhétoriques sont encouragées et soutenues par l'État.
Les pays de l'OTAN, comme la Pologne et la république Tchèque, démantèlent systématiquement les monuments aux soldats soviétiques qui ont péri pour les libérer d'Hitler, ce que Poutine dénonce comme étant hypocrite et écœurant. Ce regard s'applique tout aussi bien à l'actuelle vague de destruction, prétendument au nom de la justice sociale, de monuments en Occident.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l'URSS, les États-Unis et le Royaume-Uni ont été «des pays avec des idéologies, des aspirations étatiques, des intérêts et des cultures différents», mais leurs dirigeants «ont surmonté leurs contradictions et préférences et ont mis les véritables intérêts de la paix au premier plan», en jugeant les criminels de guerre nazis à Nuremberg et en créant des institutions telles que les Nations unies, qui ont permis d’éviter une autre guerre majeure pendant les 75 années qui ont suivi, selon Poutine.
De la même manière, en 1938, ce n’est pas Moscou mais Londres, Paris et Varsovie qui ont conclu les accords de Munich avec Hitler annonçant la partition de la Tchécoslovaquie, et ce n'est pas la Russie qui cherche aujourd'hui à « réformer » l'ONU pour en faire une seconde Société des nations de la période de l'entre-deux-guerres. Un récent document politique du Republican Study Committee du Congrès américain préconise même d’abandonner complètement l'ONU et de créer une organisation rivale avec d'autres «démocraties».
Poutine note, encore et toujours, que la Russie contemporaine embrasse son histoire dans son ensemble, avec ses bons et ses mauvais côtés, alors que les archives occidentales restent secrètes et que le révisionnisme se répand. Pour résumer ce texte, on peut dire que c'est un avertissement direct à l'intention de ceux qui refusent de tirer des leçons de l'Histoire : ils sont condamnés à la répéter.
Nebojsa Malic