En réponse au «plan de paix» proposé par Donald Trump en janvier, prévoyant l'annexion par Israël de pans entiers de la Cisjordanie occupée, les autorités palestiniennes ont présenté le 9 juin une «contre-proposition» aux principaux acteurs internationaux. Une ultime tentative alors que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou prévoit de débuter l'annexion de ces territoires dès le 1er juillet.
Un Etat «souverain, indépendant et démilitarisé» proposé par les Palestiniens
«Nous avons soumis une contre-proposition au quartet [Union européenne (UE), ONU, Russie et Etats-Unis] il y a quelques jours», a déclaré le 9 juin le Premier ministre palestinien Mohammed Shtayyeh, précisant que ce texte de «quatre pages et demie» mettait en avant la création d'un «Etat palestinien souverain, indépendant et démilitarisé».
Mohammed Shtayyeh a ajouté que le texte proposait également des «modifications mineures au tracé de frontières lorsque nécessaire», et que le transfert de territoires proposé se ferait d'«égal à égal» en termes de «taille et valeur».
De son côté, le secrétaire général de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), Saëb Erakat, a annoncé le 9 juin qu'il avait rencontré des représentants de la Russie, de l'UE et de l'ONU, mais pas des Etats-Unis, pour discuter du projet d'annexion. En effet, Ramallah a coupé toutes relations diplomatiques avec les Etats-Unis depuis que Washington a reconnu en décembre 2017 Jérusalem comme capitale d'Israël.
Saëb Erakat a également annoncé avoir remis à ces membres du quartet une lettre du président palestinien Mahmoud Abbas «exigeant la formation d'une coalition internationale contre l'annexion et une réunion de tous les pays qui s'y opposent». «Nous souhaitons qu'Israël ressente la pression internationale [...] Pour la première fois, les alliés politiques européens discutent de sanctions contre Israël car nous le leur avons demandé», a affirmé Mohammed Shtayyeh. Et d'ajouter : «La reconnaissance [d'un Etat palestinien] est une mesure préventive contre l'annexion et les sanctions en sont une autre, additionnelle.»
Une «opportunité historique», selon Benjamin Netanyahou
Mais l'heure tourne pour les Palestiniens. En effet, à partir du 1er juillet, le nouveau gouvernement d'union israélien, mené par le Premier ministre Benjamin Netanyahou et le ministre de la Défense Benny Gantz, doit présenter sa stratégie permettant la concrétisation du «plan de paix» de l'administration Trump, salué côté israélien comme une «opportunité historique».
Lors de sa présentation le 28 janvier à la Maison Blanche en présence de Benjamin Netanyahou, le président américain Donald Trump avait vanté un plan de 80 pages, «le plus détaillé» jamais présenté, proposant une solution «réaliste à deux Etats», une «chance historique» pour les Palestiniens d'obtenir un Etat indépendant.
Plus concrètement, ce plan américano-israélien prévoit l'annexion de près de 30% du territoire cisjordanien par Israël. Sont notamment visées par ce projet les colonies israéliennes situées en Cisjordanie et dans la vallée du Jourdain, occupée depuis 1967 par l'Etat hébreu. Le projet prévoit un Etat démilitarisé pour la Palestine.
En outre, l'hypothétique Etat palestinien serait constitué selon ce plan de morceaux de territoires discontinus. Le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas ne s'y était pas trompé et l'avait comparé le 11 février devant le Conseil de sécurité des Nations unies à un «gruyère suisse».
Si le plan proposé par les Etats-Unis fait la part belle à Israël, les deux parties demeurent toutefois en désaccord sur la délimitation de certains territoires à annexer, ce qui pourrait prolonger la durée de l'annexion, mais pas son début. En effet, Benjamin Netanyahou souhaite avancer rapidement sur les zones qui font consensus avec Washington : les colonies elles-mêmes.
«Voici la vérité : ces territoires sont là où le peuple juif est né et s'est développé. Il est temps d'appliquer la loi israélienne et d'écrire un nouveau chapitre glorieux dans l'histoire du sionisme», avait lancé le Premier ministre de l'Etat hébreu à la mi-mai.
«Palestinian Lives Matter»
Cependant, le projet d'annexion sioniste ne fait pas l'unanimité, que ce soit au sein de la classe politique israélienne, notamment à gauche, ou au sein de la population.
Par exemple, des milliers de manifestants s'étaient mobilisés le 6 juin à Tel Aviv pour protester contre l'occupation actuelle de territoires cisjordaniens, mais surtout contre le projet d'annexion américano-israélien. Parmi les slogans, on retrouvait notamment «Palestinian Lives Matter», détournement du mouvement Black Lives Matter, dont les manifestations se succèdent aux Etats-Unis et dans le monde. Bon nombre d'ONG et plusieurs partis politiques ancrés à gauche, comme le Meretz, ont participé à cette manifestation.
J'ai peur de ce plan d'annexion. Je pense qu'il mènera à des émeutes, et même à la guerre
«C'est beaucoup plus grave et dangereux que le coronavirus. L'annexion, c'est-à-dire la guerre perpétuelle, est mauvaise pour les deux peuples», s'est par exemple indigné le député israélien et président du parti Meretz, Nitzan Horowitz, interrogé par France 24 lors de cette manifestation.
«Nous nous sommes faits assez de mal les uns aux autres, entre Palestiniens et Juifs», a estimé auprès de l'AFP l'un des manifestants, Anat Schrieber. Et d'ajouter : «Nous sommes frères, notre place est ici, les uns comme les autres, nous pouvons faire bien plus ensemble que séparément.»
Un autre manifestant a appelé à la «justice pour les Palestiniens et à la paix pour les deux peuples, Israéliens et Palestiniens».
«Dans cet état d'apartheid, il ne peut y avoir de paix ni pour nous ni pour eux, et pas de justice non plus», a regretté cet homme à l'AFP. «J'ai peur de ce plan d'annexion», a-t-il confié. Et de poursuivre : «Je pense qu'il mènera à des émeutes, et même à la guerre.»
Cette manifestation à Tel-Aviv intervient au lendemain de mobilisations similaires en Cisjordanie occupée, où des centaines de Palestiniens avaient alors scandé des slogans hostiles à la colonisation israélienne et au projet d'annexion.
Israël protégé par Washington contre la communauté internationale ?
Benjamin Netanyahou, en renouvelant la promesse de campagne d'annexion de pans de territoires cisjordaniens et en précisant quelque peu la temporalité de sa réalisation, veut montrer à son électorat qu'il reste inflexible sur ce sujet, malgré les mises en garde internationales qui se multiplient.
Au-delà de l'ONU et des Palestiniens et Jordaniens, la Turquie, la Russie, ou encore l'UE s'opposent au projet d'annexion sans toutefois annoncer à ce stade de mesures contre ce plan. Ce sujet devrait néanmoins être au cœur de la visite le 10 juin à Jérusalem et en Jordanie de Heiko Maas, ministre allemand des Affaires étrangères, dont le pays prendra la présidence tournante du Conseil de l'UE le 1er juillet.
Mais comment contrer cette politique promue par Washington, alors que le quartet censé assurer la médiation du conflit israélo-palestinien comporte en son sein... les Etats-Unis ?
Sans répondre à cette énigme, le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, avait fait connaître la position de Paris le 20 mai : «Nous sommes en train de travailler avec nos collègues européens, l'Italie, l'Allemagne, l'Espagne, plus quelques Etats membres affinitaires comme le Luxembourg et l'Irlande, pour aboutir à une action commune [...] Je ne peux pas encore vous dire de quelle manière nous allons le faire, mais nous travaillons ensemble pour une action commune de prévention et éventuellement de riposte si d'aventure cette décision d'annexion était prise.» Suffisant pour dissuader Benjamin Netanyahou ?