Digne d'un film d'espionnage, l'intrigue autour de Julian Assange se poursuit, chaque nouvelle révélation apportant son lot de surprises sur les méthodes employées contre le lanceur d'alerte et l'étendue des mesures d'espionnage dont il fait l'objet. Une enquête ouverte à l'été 2019 contre l'espagnol David Morales et sa société de sécurité Undercover Global (UC Global), accusés d'avoir espionné durant des années le fondateur de Wikileaks à l'ambassade d'Equateur à Londres, révèle que la société espagnole s'est permis un zèle sans limite pour le compte des autorités américaines. De nouveaux documents judiciaires apportent des éléments sur les agissements dont est accusée la firme.
Dans une plainte lancée par des avocats du lanceur d'alerte devant la justice espagnole, David Morales et sa société sont accusés d'atteinte à la vie privée et à la confidentialité des échanges entre avocats et clients, ainsi que de corruption et de blanchiment. L'acte d'accusation, consulté par le quotidien espagnol El Pais, révèle désormais que la société de sécurité espagnole se serait aussi intéressée de très près à la famille de Julian Assange. Toujours selon l'acte d'accusation, également cité par le média en ligne australien The New Daily, UC Global aurait aussi volé des «photos extrêmement intimes» d'une diplomate équatorienne pour la faire chanter. Objectif ? Empêcher qu'elle ne rompe le contrat permettant la surveillance de l'entreprise sur l'ambassade équatorienne.
La société espagnole aurait en effet installé des caméras capables d’enregistrer le son ou des micros dans les petits locaux où se trouvait Julian Assange et même dans les toilettes pour femmes de l'ambassade, où Julian Assange «organisait beaucoup de ses réunions pour en garantir la confidentialité». «Des réunions qu'Assange menait avec ses avocats, des visites médicales ou de diverse nature ont pu ainsi être enregistrées», selon des documents judiciaires déjà révélés par l'AFP le 9 octobre 2019. Les informations recueillies par la société de surveillance espagnole auraient été ensuite transférées vers des serveurs informatiques accessibles aux services de renseignements américains.
La famille d'Assange dans le viseur d'UC Global
Les avocats de Julian Assange accusent en outre UC Global d'avoir spécifiquement ciblé sa famille. Un courriel que David Morales aurait envoyé à son personnel appelait notamment à «une attention particulière sur Stella Morris», l'avocate qui a révélé publiquement le 11 avril être la fiancée d'Assange et la mère de ses deux jeunes enfants. Dans cet email, David Morales demandait en outre de prendre en filature la mère de Stella Morris, qui vivait en Catalogne. «Si nécessaire, je veux une personne entièrement dédiée à cette activité, donc si vous devez embaucher quelqu'un pour le faire, faites-le-moi savoir», peut-on lire dans le courrier. «Tout cela doit être considéré comme top secret», insiste David Morales.
Ils prévoyaient de lui voler ses couches pour prouver qu'il était le fils de Julian Assange
Les documents judiciaires révèlent que les anciens employés d'UC Global se seraient en outre intéressés au jeune fils de Julian Assange, Gabriel, nourrisson à l'époque des faits, comme l'a révélé sa mère Stella Morris. David Morales semblait tellement obnubilé par l'idée d'obtenir la preuve que l'enfant était bien celui d'Assange qu'il aurait ordonné à un ancien employé de l'ambassade de subtiliser une couche usagée du bébé afin d'effectuer un test ADN. Cet employé, cité comme témoin dans cette affaire, aurait déclaré devant le tribunal qu'il avait décidé d'avertir Stella Morris du plan, lui demandant de cesser d'amener le bébé à l'ambassade «parce qu'ils prévoyaient de lui voler ses couches pour prouver qu'il était le fils de Julian Assange». Une accusation qui rejoint celle formulée par la compagne de Julian Assange dans sa vidéo du 11 avril. Un autre ancien employé, cité par El Pais, a déclaré que David Morales aurait proposé un plan de substitution consistant à voler la tétine du bébé, après qu'un laboratoire lui eut appris que l'ADN d'une couche sale ne pouvait pas être utilisé pour un test de paternité.
Lorsque David Morales a soupçonné l'ambassade d'Equateur de vouloir mettre fin au contrat d'UC Global, il aurait ainsi pris la décision de voler des «photos extrêmement privées» d'une diplomate sur son disque dur personnel pour l'utiliser comme moyen de chantage contre SENAIN, l'agence nationale équatorienne de renseignement. Les images auraient ensuite été «imprimées et faisaient partie d'un rapport d'extorsion qui visait à empêcher SENAIN de résilier le contrat», selon la plainte contre David Morales, tel que rapporté par The New Daily.
David Morales réalisait «de fréquents voyages aux Etats-Unis»
Dans un document judiciaire daté du 7 août et dont le contenu a été diffusé, notamment par l'AFP, après la levée du secret de l'instruction, un juge de l'Audience nationale, haute cour espagnole, affirmait avoir admis la plainte des avocats du lanceur d'alerte australien. Selon cette autorité judiciaire, David Morales réalisait «de fréquents voyages aux Etats-Unis», parfois plus d'une fois par mois, pour remettre personnellement les disques durs contenant les enregistrements. En outre, il «aurait versé tous les mois 20 000 euros en espèces à la responsable de la sécurité de l'ambassade afin d'éviter qu'elle ne fasse des rapports négatifs sur UC Global, ce qui aurait pu conduire à une rupture du contrat».
Julian Assange a été entendu le 20 octobre par un juge espagnol à propos de cette plainte. Le lanceur d'alerte avait trouvé refuge dans l'ambassade d'Equateur à Londres de juin 2012 à avril 2019 pour éviter d'être extradé vers la Suède ou vers les Etats-Unis. Durant les premières années de ce séjour, il faisait l'objet d'un mandat d'arrêt dans le cadre d'enquêtes préliminaires en Suède pour atteintes sexuelles, des soupçons abandonnées depuis.
David Morales, interpellé le 17 septembre avant d'être remis en liberté conditionnelle, doit pointer chez le juge tous les 15 jours et a interdiction de sortir du territoire espagnol. Le fondateur de WikiLeaks se trouve lui actuellement en détention préventive à la prison de haute sécurité de Belmarsh, au Royaume-Uni, en attendant l'issue de son procès d'extradition vers les Etats-Unis. La juge britannique Vanessa Baraitser a refusé sa libération conditionnelle le 25 mars malgré le contexte épidémique actuel. Si la demande de Washington devait aboutir, Julian Assange risquerait 175 ans de prison. Il est poursuivi en vertu des lois anti-espionnage de 1917 et pour piratage informatique, ainsi que pour avoir diffusé à partir de 2010 plus de 700 000 documents classifiés sur les activités militaires et diplomatiques américaines, dont des crimes de guerre, notamment en Irak et en Afghanistan.
Meriem Laribi