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Covid-19 : les musulmans de France contraints de réduire pratique du culte et consommation

A l'approche du ramadan, les musulmans, à l'instar des pratiquants des autres religions, voient leurs activités réduites. Interdiction des prières collectives, des toilettes mortuaires, des réunions de familles, RT France fait un tour d'horizon.

Alors que les chrétiens viennent de célébrer Pâques et les juifs Pessah dans des conditions très restreintes à cause du coronavirus, les musulmans se préparent eux à entamer le mois du Ramadan qui devrait débuter le 25 avril dans les mêmes conditions de confinement.

En France, en l'absence de statistiques officielles portant sur la religion, on estime le nombre de musulmans à environ 8,5 millions d'individus, dont moins de la moitié de pratiquants. Ces derniers voient leurs activités de fidèles entravées. En effet, à l'instar des adeptes d'autres religions, les musulmans doivent se passer des prières collectives dans les mosquées et des réunions familiales avec les grands-parents et les cousins. 

Des sacrifices nécessaires et un rappel à l'ordre

Farouk, 45 ans, habitant de la Courneuve (Seine-Saint-Denis), va habituellement, quand il le peut, à la mosquée pour la prière du vendredi entre midi et deux heures. Pendant le ramadan, il a coutume d'aller à celle du tarawih, prière surérogatoire qui se fait la nuit, tous les jours du mois du ramadan. Cette année il n'ira pas. «Un ramadan sans tarawih, ça perd un peu de son charme», confie Farouk.

«Ce sera un ramadan bizarre parce qu'on ne pourra pas inviter des gens, ni aller chez les proches... L'esprit du ramadan c'est quand même le partage, alors ça va être inhabituel», s'attriste par avance ce chef de projet en recherche clinique qui regrette également de n'avoir pas pu célébrer la veillée pascale et les célébrations de la semaine sainte avec la famille de sa compagne, Marguerite. Farouk appréhende déjà l'aïd, la fête qui clôt le ramadan : «Si c'est en confinement, ça veut dire que tu ne peux pas le célébrer avec la famille, s'échanger les gâteaux, etc.» Mais pour Farouk, ce sont des sacrifices nécessaires. «La priorité c'est la santé publique, il y a un peu de frustration mais la raison l'emporte», assure-t-il. Cette conviction, il la trouve même dans sa foi : «Même dans notre religion, la santé prime sur la pratique donc en n'allant pas à la mosquée, on respecte l'esprit de l'islam : tu te protèges toi, les tiens et tous les êtres humains.» Ce confinement est aussi l'occasion pour Farouk de dresser un constat réaliste : «Aujourd'hui on doit tous faire face à un événement, inhabituel, surprenant.» Farouk le vit cette épidémie comme un rappel à l'ordre : «Quelque chose qu'on ne voit pas et qui nous terrasse, on n'est pas en haut de la pyramide alimentaire, un rien nous terrasse, on n'est rien, la vie ne tient à rien. Cela ramène à l'essentiel : la consommation ce n'est pas le moteur de la vie.»

La solitude de la fin de vie

Originaire de Bourges, Farouk a récemment été confronté au décès du cousin de sa mère et n'a pas pu se rendre à l'enterrement. L'homme est entré à l'hôpital pour un problème cardiaque. C'est là qu'il a été infecté par le coronavirus, dont il est mort. «Le fait de ne pas pouvoir assister à l'enterrement, c'est triste», remarque-t-il. Mais les enfants du cousin décédé ont été compréhensifs : «C'est le destin.» 

Les rites funéraires ont en effet été bouleversés pour les personnes décédées des suites du coronavirus. Les défunts musulmans ne peuvent plus bénéficier de toilettes rituelles jusqu'à nouvel ordre. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a soutenu cette décision gouvernementale, soulignant l'adaptabilité du droit musulman face à des circonstances exceptionnelles.

Mériem, 35 ans, est infirmière à l'hôpital public à Nice. Etudiante-cadre, elle a été réquisitionnée aux urgences pour renforcer les rangs des soignants. «Le plus difficile pour moi, c'est la solitude des patients en fin de vie, quelle que soit leur appartenance ou non-appartenance spirituelle. Cela me brise le cœur. Ils ne reçoivent pas de visite et même quand ils décèdent, il n'y a personne qui peut les voir. La dernière toilette mortuaire est faite par l'équipe soignante comme on nous l'apprend à l'école», témoigne-t-elle.

Les musulmans ont eu des sueurs froides quand, à la mi-mars, une rumeur s'est propagée disant que tous les morts du coronavirus devraient être incinérés, la crémation étant proscrite dans la tradition musulmane. Le 23 mars, lors d'une réunion avec les représentants des cultes, Emmanuel Macron s'est voulu rassurant sur cette question disant qu'il n'était pas question que la crémation se généralise pour les personnes décédées du Covid-19. «Le président a dit qu'aucune directive n'avait été donnée aux préfets en ce sens, il y a eu des maladresses de langage dans quelques situations, le malentendu est dissipé», a fait savoir l'Elysée.

La saturation des carrés musulmans dans les cimetières de France commence aussi à devenir problématique. Avec les nombreux décès liés à l'épidémie et l'impossible rapatriement de ceux qui souhaitent être enterrés dans leur pays d'origine, de nouvelles solutions doivent êtres trouvées. Ainsi, le 9 avril, le Conseil des mosquées du Rhône (CMR), qui rassemble une quarantaine de lieux de culte du département, a émis une fatwa (un avis religieux) permettant aux familles musulmanes d’inhumer leurs défunts en dehors desdits carrés si aucune place ne se trouvait disponible. Lors de la réunion du 23 mars entre le président de la République et les représentants des cultes a également été abordée la gestion par les collectivités locales des espaces funéraires, sachant qu'il incombe aux maires de prendre les dispositions nécessaires pour les places dans les cimetières. «Des carrés musulmans arrivant à saturation, nous craignons de manquer de place, dans les jours à venir, s'il devait y avoir un pic», a expliqué Mohamed Moussaoui, président du CFCM. Les carrés musulmans ont cette spécificité que le défunt est enterré dans une tombe de façon à ce que son corps soit dirigé vers la Mecque.

La conscience morale et politique avant tout

La solitude est aussi le lot des vivants pendant ce confinement. Pour Yasmina, 48 ans, gestionnaire administrative à Vidauban (Var), le plus dur pendant le ramadan sera «de ne pas pouvoir aller voir nos parents qui sont seuls, âgés et malades». Concernant la pratique des prières rituelles, Yasmina ne se sent pas très affectée : «Pour les prières, on va faire le tarawih à la maison, c'était la recommandation du prophète de toute façon. C'est surtout pour les hommes que la frustration est plus grande car ce sont surtout eux qui vont à la mosquée en général.» Concernant la fermeture des magasins, Yasmina y trouve un point positif. «Si les musulmans peuvent arrêter de surconsommer pendant ce mois-ci parce qu'ils ne vont pas pouvoir sortir autant qu'avant, c'est pas plus mal, parce que le gâchis, la surconsommation et tout ça, si ça peut être freiné, eh bien c'est très bien, ça permettra peut-être de vivre un ramadan un peu plus spirituel», assure la Varoise. 

Tant que les Saouds sont au pouvoir dans ce pays, je n'y mettrais jamais les pieds

Le cinquième pilier de l'islam est le pèlerinage à la Mecque. Le 31 mars, les autorités saoudiennes ont appelé les musulmans de tous les pays à suspendre pour le moment leurs préparatifs pour le hajj, le grand pèlerinage, qui doit avoir lieu fin juillet, face aux incertitudes liées à la pandémie du nouveau coronavirus. Plus tôt en mars, l'Arabie saoudite avait suspendu l'Omra, le petit pèlerinage, craignant que le virus ne se répande dans les villes saintes de la Mecque et Médine. Pour Farouk, le chef de projet en recherche clinique de la Courneuve, ce n'est pas un problème. Il n'est de toute façon pas question pour lui de se rendre en Arabie Saoudite. Pèlerinage ou pas, c'est pour des raisons avant tout morales et politiques qu'il s'y refuse. «Tant que les Saouds sont au pouvoir dans ce pays, je n'y mettrai jamais les pieds», s'insurge-t-il. «Jamais je n'irai donner mon argent à ce gouvernement qui soutient l'apartheid en Palestine et affame et bombarde des civils au Yémen», explique l'homme de 45 ans.

Meriem Laribi