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Michel Yao, membre de l'OMS en Afrique : «C'est une course contre la montre pour éviter le pire»

Le docteur Michel Yao, responsable des opérations d'urgence pour l'OMS en Afrique, était l'invité de La Grande Interview. Pour ce médecin, habitué à gérer les épidémies, la communauté internationale peut aider l'Afrique à éviter le pire.

L'épidémie semble pour l'instant relativement l'épargner mais les craintes sont énormes. En Afrique, le Covid-19 a fait plus de 600 morts et près de 12 000 cas ont été recensés selon un bilan de l'AFP, datant du 9 avril. Alors que plusieurs grandes organisations ont déjà alerté sur les conséquences dramatiques que pourrait avoir le développement de la pandémie sur le continent, la plupart des pays adoptent des mesures drastiques pour endiguer la propagation de la maladie.

En première ligne pour coordonner la réponse sanitaire, le docteur Michel Yao, responsable des opérations d'urgence pour l'OMS en Afrique, était l'invité de La Grande Interview sur RT France. En répondant aux questions de Samantha Ramsamy, il a fait le point de la situation africaine.

On peut facilement multiplier les chiffres par cinq ou sept dans les prochains jours

Selon le médecin, spécialiste de la gestion des épidémies, tous les pays africains recensent des cas, à l'exception du Lesotho et des Comores, et la situation pourrait vite s'empirer : «Il y a 17 pays qui ont rapporté plus de 100 cas et la contamination se multiplie de jour en jour. Il est difficile d'avoir des prévisions exactes mais les chiffres augmentent très rapidement. Ils ont doublé ces derniers jours mais on peut facilement multiplier les chiffres par cinq ou sept dans les prochains jours.»

En termes de lits disponibles en réanimation, nous en avons 6 000 dans toute l'Afrique, et dans certains pays il y en a moins d'une vingtaine 

Autre défi majeur pour le continent, le renforcement de ses équipements sanitaires. L'Organisation mondiale de la santé s'inquiète du manque criant de moyens de l'Afrique, notamment du faible nombre de lits en soins intensifs et du manque d'appareils respiratoires. «En termes de lits disponibles en réanimation, nous en avons 6 000 dans toute l'Afrique et dans certains pays il y en a moins d'une vingtaine, donc il faut absolument penser à d'autres mécanismes» explique le médecin.

C'est une course contre la montre pour éviter le pire scénario

Pour Michel Yao, tous les pays doivent se coordonner au plus haut niveau pour éviter le désastre : «Le plan de réponse consiste en une mobilisation des ressources. Il faut former vite et en grand nombre les professionnels de santé. Il y a des besoins d'équipement énormes mais il faut tester davantage, c'est la clé. Il y a aussi l'appui des structures de prises en charges rapides comme en Europe. Nous essayons de mobiliser les états, les actions appropriées doivent se faire à un haut niveau. C'est une course contre la montre pour éviter le pire scénario.»

On pourrait avoir moins de cas sévères en Afrique car la population est jeune

Comme sur les autres continents, le médecin note que tout le monde peut être touché par la maladie mais que la vieillesse et certaines pathologies en aggravent les effets. «Il y a un profil type de patients qui se dessine mais c'est difficile de tirer des conclusions. C'est une maladie méconnue et il faut absolument des recherches pour consolider les connaissances et changer les approches au fur et à mesure. On pourrait avoir moins de cas sévères en Afrique car la population est jeune mais il y a une forte prévalence de certaines maladies comme la tuberculose ou le VIH, ainsi que la malnutrition, qui diminuent la capacité de réaction de l'organisme» explique Michel Yao.

Les communautés doivent être bien renseignées et on doit leur assigner des rôles.

Le responsable de l'OMS assure également que le continent peut tirer des leçons de la gestion de l'épidémie d'ebola qui a fait plus de 11 000 morts entre 2014 et 2016 en Afrique de l'Ouest. «L'expérience de l'épidémie d'ebola et les connaissances acquises vont certainement aider mais les mesures de santé publique exigent une certaine adhésion : les communautés doivent être bien renseignées et on doit leur assigner des rôles. Ensuite on aura besoin de partenaires, telles que les ONG ou les organisations internationales, pour augmenter les capacités du système de santé. Enfin, il faut analyser en permanence pour réajuster notre réponse» détaille Michel Yao.

En Afrique on ne peut pas dire : "Restez à la maison."

Mais en attendant de mettre en place des stratégies plus fines, de nombreux Etats tentent de faire appliquer un confinement à leur population. Une mesure très difficile à faire respecter et qui fait redouter une aggravation de la crise sociale et alimentaire, comme l'a indiqué la Banque africaine de développement. Pour le praticien, il est impossible de l'appliquer de façon stricte : «Le confinement est une stratégie mais il doit être accompagné par d'autres mesures, on ne peut pas confiner des populations dont une grande proportion ne peut plus s'approvisionner. En Afrique il ne s'agit pas d'un message générique consistant à dire : "Restez à la maison", il faut des mesures de santé publique.»

Il est trop tôt pour fair une recommandation d'usage massif de la chloroquine dans le traitement du Covid-19

Concernant la chloroquine, dont l'utilisation continue de diviser la communauté scientifique, Michel Yao appelle lui aussi à la prudence : «Il faut des recherches initiales en laboratoire. La maladie évolue en phase donc là aussi nous devons savoir exactement quand utiliser le médicament, il faut un protocole approuvé par un comité d'éthique.»

«Pour le moment, il est trop tôt pour faire une recommandation d'usage massif de la chloroquine dans le traitement du Covid-19», conclut le médecin.