Alors que la question de la pertinence du port du masque généralisé alimente un intense débat international sur fond de pénuries en France, cette protection est devenue obligatoire dans un nombre croissant d'Etats et de régions du monde.
Durement touché par l'épidémie, l'Equateur a ainsi rendu le 6 avril le port du masque obligatoire «dans tous les espaces publics», comme l'a précisé la ministre de l’Intérieur, Maria Paula Romo, dans un tweet. Le gouvernement a en outre précisé que tous les types de masques, y compris artisanaux, pouvaient être utilisés, à l'exception des protections de type «N95 [conçues pour bloquer 95% des particules les plus fines]», «afin de ne pas créer de pénurie dans les hôpitaux». Les autorités ont par ailleurs déjà instauré un couvre-feu à 15 heures, le confinement des personnes, des restrictions de déplacements et la fermeture des frontières.
De même, le Maroc a décrété le port du masque obligatoire à compter du 7 mars dans un communiqué publié la veille. Cette mesure s'ajoute à l'«état d'urgence sanitaire» instauré le 19 mars, qui impose le confinement total pour tous, sauf pour les personnes disposant d'un permis de circuler afin de se rendre sur leur lieu de travail. La police et l'armée, appuyées par des blindés et des agents de sécurité, procèdent, partout dans le pays, à des contrôles. Le roi a par ailleurs gracié plus de 5 000 détenus pour soulager les prisons, réputées surpeuplées, du pays.
Au Chili, les personnes utilisant «le transport public et privé rémunéré» doivent se couvrir le visage depuis le 6 avril, si besoin avec un masque artisanal.
Le port du masque imposé dans plusieurs pays d'Europe centrale
En Europe, la République tchèque a imposé le port du masque dans l'espace public en mars, avant d'en atténuer les contraintes : dès ce 7 avril, les coureurs ou les cyclistes tchèques ne sont plus obligés de l'arborer, a indiqué le vice-Premier ministre Karel Havlicek.
La Slovénie et la Slovaquie ont elles aussi rendu obligatoire dès mars l'usage du masque dans l'espace public.
En Autriche, les commerces sont tenus de fournir gratuitement à chaque personne qui y pénètre une «protection bouche-nez», sauf pour ceux qui en sont déjà équipés.
En Italie, l'obligation de porter un masque est entrée en vigueur le 6 avril en Lombardie, la région italienne la plus touchée par le coronavirus. «Si vous devez sortir de chez vous, vous avez obligation de vous couvrir le visage, la bouche, le nez, avec tous les moyens possibles», avait annoncé président de la région Attilio Fontana (La Ligue) le 4 mars dans une vidéo traduite par France info. En Toscane, chaque habitant devrait recevoir trois masques, avant qu'une règle similaire s'applique.
Du côté de l'Asie, la Chine, Taïwan ou encore la Corée du Sud (où ils sont distribués gratuitement à la population) imposent eux aussi le port du masque dans les espaces publics.
Des villes de France demandent à se couvrir la bouche et le nez
Grande première en France, Sceaux, en région parisienne, a pris un arrêté obligeant les habitants de plus de 10 ans à se couvrir le visage à compter du 8 avril. La ville précise que toute protection recouvrant le «nez et la bouche» est suffisante, «à défaut d'un masque chirurgical ou d'un masque FFP2». Les contrevenants écoperont d'une amende de 38 euros en cas de non-respect de la nouvelle règle.
«D'ici 10 jours, nous serons en mesure de fournir à chaque Niçois, un masque aux normes, lavable et réutilisable», a twitté de son côté le maire Les Républicains de Nice Christian Estrosi, qui a lui-même été atteint par le Covid-19.
«Ainsi, toute la population niçoise pourra en être équipée [et] dès lors, je prendrai un arrêté qui imposera de porter un masque pour chaque sortie», a précisé l'édile.
Le maire de Cannes, David Lisnard (LR), a lui aussi annoncé que «chaque Cannois sera[it] doté d'un masque en tissu à la norme AFNOR S76-001», en cours de production dans une «manufacture».
Débats scientifiques autour de la généralisation du masque
Il existe peu de données scientifiques sur les bienfaits du port du masque artisanal dans la lutte contre les contaminations. Une étude menée en 2013 sur la grippe, rappelle l'AFP, a estimé que «les masques artisanaux ne devaient être utilisés qu'en dernier recours pour empêcher les contaminations», mais qu'il était toutefois préférable d'en disposer plutôt que de n'avoir aucune protection.
Il n'y a pas de réponse binaire, pas de solution miracle
«Il n'y a pas de réponse binaire, pas de solution miracle. Les masques seuls ne peuvent juguler la pandémie de Covid-19», a déclaré le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé Tedros Adhanom Ghebreyesus le 6 avril. Selon lui, leur usage généralisé dans la population n'est justifié que si les autres mesures barrière sont impossibles ou difficiles à mettre en place. Trois jours plus tôt, le docteur Mike Ryan, expert en situations d'urgence à l'OMS, a déclaré que les masques médicaux et chirurgicaux devaient être réservés «aux personnels en première ligne» ; il a néanmoins ajouté que se masquer le visage «pour empêcher que la toux ou le reniflement projette la maladie dans l'environnement et vers les autres [...] n'[était] pas une mauvaise idée en soi».
Certains scientifiques estiment au contraire que le masque est essentiel : «La grande erreur aux Etats-Unis et en Europe est, à mon avis, que la population ne porte pas de masque», avait déclaré fin mars le directeur général du Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies George Gao lors d'un entretien au magazine américain Science.
Le premier avril, les Académies américaines des sciences ont jugé crédible l'hypothèse d'une transmission du virus par voie aérienne, entre des personnes qui parlent ou respirent, et non pas seulement par les gouttelettes et postillons projetés lors d'un éternuement, ou sur des surfaces. Ce qui rendrait le port du masque pertinent.
Volte-face en France
En France, l’académie de médecine a préconisé un port généralisé et obligatoire du masque «grand public» le 3 avril. Le même jour, le professeur Jérôme Salomon, directeur général de la santé, avait annoncé la fabrication de masques «alternatifs», autres que médicaux, et préconisait à tout un chacun de s'en équiper «s'il le souhaite», en rupture avec la doctrine précédente du gouvernement.
A la question : les Français devront-ils porter un masque ? La réponse est : peut-être
Durant tout le mois de mars, en effet, la multiplication des déclarations officielles sur la non-pertinence du port du masque en-dehors du personnel médical et des malades, couplé à une pénurie nationale, avait fini par soulever une polémique. Un certain nombre d'observateurs et d'opposants ont accusé le gouvernement de mentir sur la pertinence du port du masque, afin de dissimuler l'absence de stocks dans le pays ou pour que soit approvisionné en priorité le personnel soignant.
«A la question : les Français devront-ils porter un masque ? La réponse est : peut-être. Ce n’est pas pleinement satisfaisant, mais les avis scientifiques évoluent», a pour sa part estimé le 7 avril dans un tweet le ministre de la Santé Olivier Véran. «Si un consensus scientifique se dégage, nous en informerons sans délai les Français», a-t-il ajouté. Car le risque, selon le ministre, qui se réfère notamment aux arguments de l'OMS, serait que les gens «se croient à l'abri, protégés et n'appliquent plus les gestes barrière».
Lucas Léger