«Free, free Julian Assange !» Le message aura résonné comme un mantra ce 24 février devant la prison de Belmarsh, scandé du petit matin à la tombée du jour, sous une pluie battante, par quelques centaines de citoyens venus apporter leur soutien au fondateur de WikiLeaks, pour la première journée d'audiences sur sa potentielle extradition vers le sol américain. Prévue pour se dérouler en deux semaines réparties sur les mois de février et de mai, la procédure a débuté dans une salle d'audience à proximité la prison de haute sécurité, où le journaliste australien est incarcéré depuis 319 jours, et où son état de santé s'est dégradé au fil des mois.
«Assange s'est sacrifié pour nous»
Détail difficile à rater, nombre des soutiens de Julian Assange agglutinés devant le centre pénitentiaire avaient enfilé un gilet jaune, emblème du mouvement citoyen du même nom. Et pour cause : une nouvelle opération coup de poing réunissant quelque 150 citoyens français a été organisée par l'administratrice du groupe Facebook «Assange l'ultime combat», Corinne, une Gilet jaune de Nancy. Deux cars pleins à craquer ont ainsi traversé la Manche durant la nuit du 23 au 24 février pour l'occasion.
Parmi les Français présents sur place, Martin, Gilet jaune parisien, fait le déplacement pour la quatrième fois, afin de «sauver l'honneur». «Julian Assange s'est énormément sacrifié pour nous, pour moi il est évident que c'est ici qu'il faut être présent. L'Histoire est en train de nous juger en ce moment, la France n'a pas été à la hauteur», déclare-t-il au micro de notre reporter.
Corinne, la co-organisatrice, rappelle l'enjeu d'une action visant à «mettre la pression pour que des gens hauts placés se mobilisent aussi [afin de] faire plier l'incroyable pression des Etats-Unis» sur le sort de Julian Assange. «Il y a beaucoup d'automobilistes qui passent sur cette route, on va essayer d'alerter le maximum d'Anglais qui sont encore trop peu au courant de ce qu'il se passe», affirme-t-elle encore.
Toute la journée, les manifestants pour la plupart venus de France maintiendront les décibels au plus haut niveau, allant jusqu'à se faire entendre à l'intérieur de l'établissement...
A l'intérieur, une audience attendue de longue date
Dès 8h du matin, des dizaines de journalistes du monde entier se sont pressés pour un accès à la salle d'audience, ou à défaut, à la salle de presse située au sous-sol. Les places sont difficiles à obtenir et beaucoup sont repartis bredouille.
Au sous-sol, les journalistes prennent des notes devant une projection vidéo de piètre qualité. Certains se rapprochent des télévisions, quitte à s'asseoir par terre tant le son est inaudible.
Dehors, les slogans des Gilets jaunes sont incessants. De la salle de presse, leur tapage est plus que perceptible, rendant la tâche d'écoute des plaidoiries plus difficile pour les journalistes.
Julian Assange est lui au premier étage, dans un box entouré de deux agents, derrière de grandes vitres, à l'arrière de la salle. Costume gris sur pull gris, il est bien coiffé et bien rasé. Son visage impassible, fermé ne trahit ni fatigue, ni exaspération, ni colère. Il lui arrive de perdre son regard au plafond pendant de longues minutes. Au balcon, ses proches, son père John, son frère Gabriel sont présents. De la salle d'audience, difficile pour le fondateur de WikiLeaks d'entendre ses soutiens qui s'égosillent pour lui toute la journée sans aucun répit.
Lors de l'interruption de l'audience à mi-journée, le porte-parole et actuel rédacteur en chef de WikiLeaks Kristinn Hrafnsson déclare, à propos des interventions des représentants de la partie américaine : «Il y a une contradiction car ils ont dit que Julian Assange ne serait pas jugé pour ce qu'il a publié mais pour un supposé préjudice, or aucun préjudice n'a été causé.»
En fin de journée, Kristinn Hrafnsson raconte pour sa part les interventions de la défense de Julian Assange lors des audiences de l'après-midi. Rencontré en sortie d'audience, il confie notamment à RT France que la dégradation de l'état de santé du prévenu australien a été au cœur des discussions, mentionnant qu'elle pourrait amener à des risques de suicide.
175 ans de prison encourus aux Etats-Unis
D’abord poursuivi pour piratage informatique, Assange a vu s’alourdir en mai dernier les charges pesant contre lui lorsque la justice américaine l’a inculpé de 17 chefs supplémentaires, en vertu des lois anti-espionnage. Il encourt 175 ans de prison. Les Etats-Unis lui reprochent notamment d’avoir mis en danger certaines de leurs sources en publiant en 2010 sur WikiLeaks 250 000 câbles diplomatiques et 500 000 documents confidentiels portant sur les activités de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Parmi ces documents figurait une vidéo montrant des civils tués par les tirs d’un hélicoptère de combat américain en Irak, en juillet 2007.
La menace d'extradition de Julian Assange aux Etats-Unis, où il encourt une peine de 175 ans, a provoqué de récentes vagues d'inquiétude dans le monde journalistique. Nombre de syndicats et d'ONG ont pris partie en faveur du fondateur de WikiLeaks, dont le travail lui a valu de nombreuses récompenses journalistiques tels que le prix du journalisme Martha Gellhorn ainsi que le prix de la Walkley Foundation for Journalism pour «contribution majeure au journalisme» en 2011 ; le prix du Club des journalistes de Mexico en 2019 ; ou encore le prix Gary Webb pour la liberté de la presse qui lui a été attribué en février 2020 par le Consortium international des journalistes d'investigation (ONG américaine aujourd'hui présente dans plus de 70 pays).
«Pour rappel, en fondant sa société d'édition en 2006, Julian Assange a rendu possibles les fuites les plus massives du XXIe siècle, abondamment reprises par les médias internationaux, et notamment par la presse française», rappelle le Syndicat national des journalistes (SNJ, français) dans un récent communiqué.
Fabien Rives