Voici une nouvelle qui soulève des interrogations sur la façon dont les Nations unies gèrent les cas de plaintes pour viol au sein des régiments de casques bleus. Une enquête révèle en effet que dans deux-tiers des cas, l'ONU ne transmet pas l'affaire à la justice des pays de provenance des accusés.
Ces révélations viennent peu de temps après les déclarations du secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, qui affirmait que les pays dont les soldats étaient impliqués dans des affaires de viol et d'agression sexuelle devaient «se montrer responsables» et «arrêter de les protéger» pour laisser la justice décider de leur cas.
Il s'avère cependant que dans quatre cas de viol et d'agression sexuelle récents, les plaintes n'ont pas été transmises aux autorités nationales. C'est un organisme interne à l'ONU, le Bureau des services de contrôle interne (BSCI) qui a mené l'enquête à huit clos sans divulguer quelque information que ce soit.
Après avoir examiné le dossier, interrogé les témoins, les victimes et le personnel de l'ONU, le BSCI avait le dernier mot puisque c'est lui qui décidait si, oui ou non, les accusations étaient assez crédibles pour mériter que le dossier soit transmis aux autorités nationales de la personne accusée. Lorsque qu'il décidait qu'un suspect pouvait être blanchi, le nom de ce dernier était effacé et celui qui était mis en cause était libre de retourner à son poste sans qu'aucune poursuite ne soit intentée contre lui.
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Un porte-parole de l'ONU a d'ailleurs confirmé au journal britannique The Guardian que «si une allégation est jugée non fondée, aucune autre mesure ne serait prise».
C'est l'ONG Aids Free World (Un monde sans Sida) qui a mis en lumière cette affaire après avoir écrit à l'ONU pour demander quelles mesures avaient été prises dans 12 cas distincts cités par le BSCI dans ses rapports annuels de 2013 et 2014.
La réponse du sous-secrétaire général aux affaires juridiques de l'organisation, transmise par l'ONG au Guardian, a montré que sur ces 12 cas, 4 seulement avaient été transmis aux autorités compétentes des pays d'origine des accusés. Deux autres avaient vu leur examen reporté à une date ultérieure et deux autres cas étaient toujours en cours d'examen. Pour les quatre cas restants, le BSCI a décidé purement et simplement de ne pas donner suite, considérant que les preuves étaient insuffisantes pour que le dossier soit transféré à la justice.
De plus, dans ses rapports rendus publics, le BSCI donne quelques détails, mais en omettant de mentionner les noms et lieux des affaires.
Les Nations unies affirment pourtant pratiquer la «tolérance zéro» dans les affaires de viol que commettraient des casques bleus, insistant sur le fait que les membres de l'organisation ne jouissaient d'aucune immunité diplomatique.
Mais pour Paula Donovan, de l'ONG Aids Free World, l'ONU «se moque» en réalité de sa politique de «tolérance zéro» et ne se prive pas d'acquitter elle-même son personnel lorsqu'elle trouve l'affaire trop sérieuse.
L'ONG évoque par ailleurs un marasme administratif volontairement mis en place par l'ONU pour empêcher les victimes présumées de porter plainte et de voir leur affaire convenablement traîtée, parlant d'un manque criant de tranparence et d'une véritable «culture de l'impunité» autour de tout ce qui concerne les affaires d'agressions sexuelles commises par des employés de l'organisation.
Ainsi, Brian Concannon, directeur exécutif de l'Institut pour la justice et la démocratie en Haïti, une organisation de défense qui s'occupe des droits de l'homme dans ce pays où la présence des casques bleus est conséquente, a déclaré qu'il était «extrêmement difficle pour les victimes de porter plainte contre des soldats de la paix de l'ONU».
«Dans les affaires de violence sexuelle, le système de l'ONU est effectivement en train de faire ce qu'il est censé faire : protéger l'organisation», conclut Brian Concannon.