Alors que les Casques bleus ont été une nouvelle fois montrés du doigt dans une affaire de viol sur une fillette, Florent Geel de la FIDH dénonce l'impunité de ces soldats de la paix et plaide pour qu'ils soient enfin jugés pour leurs crimes.
Florent Geel est le directeur Afrique de la Fédération internationale des Ligues des Droits de l'Homme (FIDH)
RT France: Plusieurs affaires mettant en cause des Casques bleus ont défrayé ces derniers mois la chronique, comment analysez-vous cette situation ?
Florent Geel: Le problème des crimes sexuels au sein des Nations Unies n'est malheureusement pas nouveau, il a simplement été longtemps tu. D'ailleurs en réalité, les Nations Unies n'ont pas vraiment les moyens de poursuivre les auteurs de tels crimes. En effet, les justices nationales des pays dans lesquels se produisent les viols perpétrés par les Casques Bleus sont démunies. En tant que soldats de la force de paix, ils bénéficient d'un accord d'immunité, empêchant toute poursuite judiciaire à leur encontre dans les zones dans lesquelles ils sont déployés. Et ce sont les Etats, les contributeurs de troupes, qui sont donc théoriquement responsables de leurs ressortissants casques bleus, opérationnels sur le terrain. Cela crée donc une situation d'impunité car les militaires mis en cause ne sont généralement pas poursuivis dans leurs pays d'origine. Ils proviennent en effet le plus souvent de pays où ce genre de crimes (viols, abus sexuels) ne sont guère traités par la justice, a fortiori lorsque ces sont des soldats qui sont mis en cause.
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— RT France (@RTenfrancais) 11 Juin 2015
RT France: En France, les soldats soupçonnés de viols sont eux poursuivis pour la justice...
Florent Geel: Et dans cette horreur, c'est au moins une bonne nouvelle ! Mais pour la plupart des autres crimes dont on a entendu parler ces dernières semaines, et qui concernent des bataillons de casques bleus congolais, guinéens, cap-verdiens, aucune information judiciaire n'a été ouverte ! Aucun de ces pays n'a lancé d'enquête. Et c'est justement un autre point qui pose problème avec les casques bleus. Nous militons à la FIDH, pour que les opérations de maintien de la paix soit «africanisées» lorsqu'elles se déroulent en Afrique. Et ces troupes africaines de Casques bleus n'ont clairement pas encore aujourd'hui les équipements, les procédures opérationnelles et la formation pour être efficaces et garantir le respect des droits humains des personnes qu'elles sont censées protéger. En clair, les troupes africaines savent faire la guerre mais pas encore la paix. Il faut donc que les forces africaines mandatées par les Nations Unies adoptent ses standards en terme de maintien de la paix: protéger les populations civiles, ne pas tuer, ne pas violer, ne pas se payer sur le dos des civils, etc. C'est malheureusement un processus long et complexe. Par ailleurs, il faut aussi rappeler que ces troupes qui sont sur le terrain proviennent de pays qui sont ou qui ont été longtemps en guerre et dans lesquels le viol comme «arme de guerre» est ou a été beaucoup pratiqué. Je pense à la République Démocratique du Congo ou à l'Angola. Les Casques bleus de ces pays apportent de telles pratiques.
RT France: Vous dîtes que l'Onu a longtemps évacué le problème ...
Florent Geel: Oui, les Nations Unies avaient peur en rendant public le problème et en le traitant que cela gêne ce que l'on appelle la «génération de forces» et que les pays mis en cause ne fournissent plus d'hommes pour les opérations de maintien de la paix. Mais aujourd'hui, l'Onu est à un tournant puisque ces affaires, médiatisées, nuisent terriblement à l'image des Casques bleus dans le monde. Même si les troupes de maintien de paix de l'Onu ont un effet positif pour le pays en question, la perception du grand public est complètement faussée par ces viols d'enfants.
L'#ONU a suspendu le révélateur des abus sexuels des casques bleus. #Stockholm fustige >> http://t.co/eTCpHzMRkMpic.twitter.com/eRIKGgYBu0
— RT France (@RTenfrancais) 16 Juin 2015
RT France: Que faudrait-il faire pour résoudre ce problème ?
Florent Geel: Déjà renforcer les principes démocratiques et la justice des pays d'où sont issus les Casques bleus, afin qu'ils puissent être poursuivis dans leurs pays d'origine s'il y a faute. Je travaille actuellement sur le cas de soldats tchadiens qui ont violé une prostituée à Gao, au Mali. Pour le moment la justice tchadienne ne bouge pas. L'une des solutions serait peut-être que l'Onu utilise son poids symbolique et financier -les pays contributeurs de troupes sont payés- pour faire pression sur ces Etats.
RT France: Pour revenir sur le cas des 14 soldats français accusés de viols sur des enfants en Centrafrique, comment expliquez-vous que tels comportements aient pu avoir lieu au sein de l'armée française?
Florent Geel: Malheureusement il y a des brebis galeuses dans toutes les armées du monde, même dans les meilleures et les mieux formées. Mais cette théorie de la «brebis galeuse» serait efficiente si ces viols d'enfants n'avaient concerné que deux ou trois soldats maximum. Aussi, je vous avoue que nous avons été nous-mêmes très surpris par l'ampleur du phénomène, lorsque nous avons appris que 14 militaires français étaient mis en cause dans cette sordide affaire. Si ces faits sont avérés, c'est extrêmement préoccupant. Et l'explication pourrait alors être également d'ordre psychologique. En effet, le conflit centrafricain est l'un des plus traumatisants depuis la guerre d'Algérie. L'armée française a fait des tests et s'est aperçue que les soldats de retour de Centrafrique souffraient de choc post-traumatique plus importants que ceux revenus d'Afghanistan, d'Irak ou du Mali. De jeunes militaires de 20 ans sont projetés dans un conflit auquel ils ne comprennent rien, voient des gens se massacrer, ils assistent à des horreurs -des personnes découpées dans les rues, brûlées- et sont souvent impuissants. On pourrait donc imaginer que ces hommes péteraient littéralement les plombs sur place. Mais cela n'expliquerait qu'en partie l'ampleur et l'horreur des actes qui se sont produits là-bas.
RT France: Et les victimes dans tout cela ?
Florent Geel: Justement, il ne faut pas les oublier. Ce sont des personnes qui vivent dans des pays ravagés par des années de guerre, et qui ont bien souvent déjà été victimes d'exactions -avec la FIDH, nous avons découvert que plus de 7000 crimes sexuels avaient été perpétrés en 2003 et 2004 en Centrafrique par les forces combattantes sur place. Et après tout cela, elles sont encore victimes des Casques bleus ? C'est une situation horrible et absurde à la fois. A la FIDH, nous avons donc poussé pour qu'une cour pénale spéciale (mixte entre Nations Unies et justice centrafricaine) soit mise en place pour juger les crimes internationaux perpétrés dans ce pays. On pourrait aussi imaginer que cette cour soit un jour également compétente pour juger les Casques bleus coupables de crimes ou de viols ?
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