Qui de Juan Guaido ou de Luis Parra a été élu président de l'Assemblée nationale vénézuélienne, organe où l'opposition est majoritaire, qui réélit son président tous les ans ? Tous deux issus de l'opposition politique, les deux rivaux revendiquent la victoire ce 5 janvier, après un (double) processus électoral pour le moins confus...
Deux salles, deux ambiances
«Aujourd'hui, nous avons terminé la session parlementaire avec la plupart des députés. Avec 100 voix pour, le conseil d'administration est installé pour cette année, malgré la violente prise de contrôle et le coup d'Etat au Palais législatif fédéral par la dictature», a par exemple tweeté Juan Guaido, autoproclamé président par intérim du Venezuela depuis le 23 janvier 2019.
Fait notable, le leader du parti politique Volonté populaire a déjà reçu, sur le même réseau social, les félicitations du secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo. Pour sa part, l'AFP rapporte que Juan Guaido a été réélu président du Parlement vénézuélien par les députés de l’opposition «lors d’une séance organisée à la rédaction d'un journal, après que la police l’a empêché d’accéder à l’Assemblée nationale».
«Chers collègues parlementaires, faisons de cette occasion le temps de la bonté triomphante et de la justice droite. Merci, merci beaucoup, chers collègues, [de m'avoir élu] président de cette honorable Assemblée nationale», a de son côté écrit Luis Eduardo Parra, issu de la formation politique Première justice (dont le leader Henrique Capriles s'était présenté contre Hugo Chavez à la présidentielle en 2012), dont il a récemment été exclu. Ce dernier affirme avoir bénéficié des voix de 81 députés sur les 140 présents dans l'Hémicycle.
Contrairement à l'AFP, le média public vénézuélien Telesur annonce pour sa part la victoire de Luis Eduardo Parra lors du scrutin. «L'élection s'est déroulée au milieu des divisions et des accusations croisées de corruption et de despotisme parmi les rangs de l'opposition», explique la chaîne sud-américaine lancée sous l'impulsion d'Hugo Chavez. «Guaido [a été] remplacé à la tête du Parlement lors d'un vote contesté. Les législateurs de l'opposition pro-Guaido ont rejeté le vote, formant un Parlement parallèle avec le soutien de la droite américaine et internationale», résume de son côté le site pro-chaviste Venezuelanalysis.com.
Guaido a-t-il été empêché d'accéder à l'hémicycle ?
En tout état de cause, le processus électoral s'est déroulé de façon inédite. Madelein Garcia, journaliste de Telesur présente à Caracas, relate ainsi ce qu'elle présente comme la chronologie des événements à travers plusieurs vidéos. Selon la journaliste, Juan Guaido aurait ainsi voulu entrer à l'Assemblée avec cinq parlementaires déchus de leur immunité, et dont certains font l'objet d'un «mandat d'arrêt» en raison d'une «tentative de coup d'Etat». Malgré un ordre de ne pas les laisser entrer dans l’hémicycle, «Guaido a insisté : ou tout le monde, ou personne», précise-t-elle.
La journaliste ajoute, hormis cet incident : «Tous les députés sont entrés, se sont identifiés dans le cadre d'un dispositif de sécurité de la Garde nationale, sans aucun problème.»
«La Garde nationale a ouvert la voie à Juan Guaido», poursuit-elle, affirmant que le problème concernait uniquement les députés faisant l'objet d'une enquête et non pas celui qui s'est autoproclamé président par intérim du pays, avec le soutien de Washington. «Soit on passe tous, soit on ne passe pas», aurait alors déclaré Juan Guaido, toujours d'après le récit livré par la journaliste de Telesur.
Face au refus de le laisser passer en compagnie des autres parlementaires, l'opposant vénézuélien aurait finalement tenté de rentrer en force dans l'édifice. Une vidéo le montre tenter, en vain, d'escalader le grillage entourant l'Assemblée. Il en a été empêché par les forces de l'ordre.
Juan Guaido aurait donc finalement renoncé à toute tentative, avant de se rabattre sur une session parallèle, tenue dans les locaux du journal d'opposition El National. A l'issue de ce scrutin, le compte Twitter officiel de l'Assemblée nationale a fait état de l'élection de Juan Guaido, commentant : «Ce vote démontre l'engagement des forces démocratiques au Venezuela. Malgré les différences et les menaces, l'unité et l'intérêt nationaux ont prévalu.» Toutefois, aucun détail n'a été donné sur l'identité des votants.
Plusieurs alliés de Juan Guaido lui ont apporté leur soutien et ont condamné le recours à la force pour l'empêcher d'accéder au Parlement, à l'instar du Groupe de Lima, et de plusieurs pays de la région comme le Brésil ou l'Equateur. L'Union européenne a elle aussi fait valoir qu'elle reconnaîtrait Juan Guaido comme président de l'Assemblée. De son côté, Nicolas Maduro a reconnu l'élection de Luis Parra.
Quand les députés en viennent aux mains
A l'Assemblée, la tension est montée d'un cran, alors que certains députés de l'opposition réclamaient l'ouverture de la session malgré l'absence de Juan Guaido et de plusieurs autres députés, tandis que d'autres réclamaient d'attendre. Des coups ont été échangés, comme le montrent plusieurs vidéos.
«La session a été installée dans l'hémicycle pour élire le conseil d'administration», après un délai de «trois heures d'attente, conformément au règlement», raconte la journaliste Madelein Garcia, vidéo du vote à l'appui.
Le Venezuela traverse une importante crise politique depuis plusieurs mois, les manifestations pro et anti-Maduro se succédant, et l'opposant Juan Guaido n'ayant jamais réussi à asseoir, dans les faits, son statut de «président par intérim» du pays. Ainsi, s'il bénéficie de la reconnaissance de plusieurs pays, généralement opposés au gouvernement socialiste de Nicolas Maduro, ce dernier a toujours bénéficié du soutien primordial de l'armée.
La stratégie de Juan Guaido a par ailleurs été affaiblie par un scandale de corruption présumée qui touche des députés proches de lui. Luis Parra fait lui aussi l'objet de soupçons de corruption, ce qui lui a valu d'être exclu de sa formation politique, Première justice. L'opposition reste particulièrement divisée dans un pays dont les réserves pétrolières, parmi les plus importantes du monde, font l'objet de l'intérêt non-dissimulé de Washington.
Avant ce vote, plus tôt dans la semaine, José Brito, député de l'opposition de droite (et lui aussi englué dans l'affaire de corruption présumée touchant Luis Parra), avait sonné la charge contre Juan Guaido, dans des propos rapportés par Telesur : «En 2019, qui vient de se terminer, tu étais l'espoir du pays. Aujourd'hui, tu es la plus grande des déceptions. Tu aurais pu être le futur, mais aujourd'hui tu es et tu seras le passé. Tu étais un rêve qui s'est transformé en cauchemar. Juan Guaido, à compter d'aujourd'hui, ton temps est révolu.» Il avait alors annoncé la candidature de Luis Parra à la présidence de l'Assemblée.
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Fabien Rives et Louis Maréchal