Et si, après des mois de battage médiatique et en dépit du vote de la Chambre des représentants, l'impeachment (la procédure de destitution) contre le président américain Donald Trump n'avait finalement pas lieu ? La question peut paraître étrange, mais se pose pourtant après la conférence de presse quelque peu confuse donnée par la présidente démocrate de la Chambre des représentants Nancy Pelosi, dans la foulée du vote, le 19 décembre.
Celle-ci a menacé de ne pas transmettre immédiatement au Sénat les deux articles de loi mettant en accusation Donald Trump pour «abus de pouvoir» et «entrave à la bonne marche du Congrès». Un geste qui s'apparente à une volonté de faire pression sur le Sénat, à majorité républicaine, sur la façon dont celui-ci compte instruire le procès. Selon la Constitution américaine, organiser le procès est, en effet, la prérogative de la Chambre haute.
Le président républicain du Sénat Mitch McConnell, qui n'entend pas se laisser dicter sa conduite par la Chambre des représentants, n'a pas caché sa surprise de la tournure prise par les événements : «J'avoue ne pas comprendre quel levier de pression existe en s'abstenant de nous envoyer quelque chose que nous ne voulons pas.» En l'état actuel des choses, la situation se trouve donc dans une «impasse», explique-t-il.
Conséquence de cet imbroglio inédit – lors de l'impeachment lancé contre Bill Clinton en 1998, la Chambre des représentants avait transmis au Sénat les articles de loi en question dans les minutes qui avaient suivi le vote – Donald Trump n'a, à l'heure actuelle, pas légalement eu de procédure de destitution contre lui. Comme le note le professeur de droit de la prestigieuse université de Harvard Noah Feldman dans les colonnes de Bloomberg, «si la Chambre ne communique pas son "impeachment" au Sénat, elle n'a pas lancé de procédure d'"impeachment" contre le président. Si les articles ne sont pas transmis, Donald Trump pourrait légitimement dire qu'il n'y a pas eu d'"impeachment".»
Une procédure qui tourne au fiasco pour les démocrates
Les atermoiements du camp démocrate témoignent du fiasco – prévisible – d'une séquence politique dont ils espéraient tout autre chose en vue de la présidentielle de 2020. Et Donald Trump, qui réclame un «procès immédiat», ne s'est pas privé de s'engouffrer dans la brèche qui semble de plus en plus béante, pour retourner la situation à son avantage : «La raison pour laquelle les démocrates ne veulent pas transmettre au Sénat les articles de loi de la procédure de destitution, est qu'ils ne veulent pas que leur homme politique corrompu Adam "sournois" Schiff ne témoigne sous serment, pas plus que le lanceur d'alerte, le second – manquant – lanceur d'alerte ou les Biden !»
Il faut dire que les motifs de satisfaction ne manquent pas au président américain. Car le vote lui-même s'est révélé être un camouflet pour l'opposition. D'une part, aucun élu républicain n'a voté en faveur de sa destitution, signe qu'il a su rassembler derrière lui un parti qui lui était franchement hostile lors de son entrée fracassante en politique. «100% de voix républicaines. C'est de ça que les gens parlent. Les républicains sont unis comme jamais!», s'est-il d'ailleurs félicité.
D'autre part, trois élus démocrates ont également refusé de soutenir la procédure, et la candidate à la primaire démocrate Tulsi Gabbard a simplement voté «présente», affaiblissant de fait l'accusation. Plus dommageable encore pour l'image de l'opposition, l'un de ses élus, Jeff Van Drew, a même décidé de changer de parti et de rallier les républicains, accusant les démocrates d'avoir fait pression sur lui pour qu'il vote en faveur de l'impeachment, alors qu'il s'y refusait.
Comme si cela ne suffisait pas, en dépit des appels à la solennité de Nancy Pelosi envers ses troupes, l'élue du Michigan Rashida Tlaib a jugé opportun de publier une vidéo d'elle jubilant du coup réalisé par son camp, loin de l'image d'un pays confronté à une grave crise institutionnelle que voulait renvoyer le parti. Une attitude que s'est empressé de partager Donald Trump sur son compte Twitter, se demandant si c'était «bon pour les Etats-Unis».
Et pour donner encore un peu d'eau au moulin d'un Donald Trump qui dénonce une «chasse aux sorcières» à son encontre, des journalistes du Washington Post et de CNN ont publié sur Twitter une photo où ils célèbrent l'«Impeachmas» (contraction entre Impeachment et Christmas, Noël en anglais). Rapidement effacé, le tweet avait déjà fait le tour des réseaux sociaux et suscité de nombreuses critiques sur le manque d'objectivité dont témoignerait une partie des médias.
Si les opposants au chef d'Etat américain n'ont pas caché leur satisfaction, il est pourtant probable que leur joie ne soit que de courte durée. Lorsque les démocrates transmettront les articles de loi sur la destitution au Sénat, il ne fait aucun doute que le président américain sera acquitté, au terme du procès qui s'ensuivra. Entre temps, la côte de popularité de Donald Trump a grimpé de 6 points depuis le début du mois d'octobre et de «l'affaire», selon un sondage réalisé par Gallup et publié le 18 décembre.
Frédéric Aigouy