Le président camerounais, Paul Biya, reçoit Jean-Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères, ces 23 et 24 octobre. Le chef de la diplomatie française y effectue une visite avec un triple agenda : politique, économique et sécuritaire. En plus des exactions, heurts et tueries de Boko Haram dans le nord du Cameroun, un conflit séparatiste – qui a déjà fait plus de 3 000 victimes et entraîné des dizaines de milliers de déplacés – sévit depuis trois ans dans les régions anglophones du nord-ouest et du sud-ouest du pays.
Depuis octobre 2016, le Cameroun est en effet secoué par une crise multidimensionnelle : représentant un peu plus de 20% de la population, les anglophones dénoncent leur marginalisation au sein de l’administration et le désinvestissement de l’Etat dans leur région.
Crises multiples au Cameroun
La fin de non-recevoir opposée par Yaoundé aux mouvements de protestation a cristallisé les tensions et abouti à plusieurs incidents meurtriers lors d'affrontements entre la population et les forces de l’ordre. Nombre de Camerounais anglophones protestent par ailleurs contre la politique de centralisation opérée par les autorités dès l’unification du pays, le 1er octobre 1961.
Alors que pendant près de 40 ans – sous l’égide de la Société des nations (SDN), ancêtre de l’ONU – le pays avait été administré par la France et le Royaume-Uni, les habitants des régions à majorité anglophone prônent désormais l'instauration du fédéralisme.
Enfin, les autorités camerounaises doivent aussi faire face aux velléités indépendantistes des forces de défense de l'Ambazonie (ADF), nom donné par les séparatistes anglophones à leur République auto-proclamée. Quasi-quotidiennement sont recensés des affrontements meurtriers avec l’armée camerounaise qui poussent de nombreux habitants à fuir vers les pays voisins. Selon le Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU, 15 000 Camerounais se seraient déjà réfugiés au Nigéria.
La visite de Jean-Yves Le Drian intervient alors que, début octobre, Paul Biya clôturait un «grand dialogue national» et libérait 333 détenus liés à la crise anglophone. De même que 102 opposants (dont Maurice Kamto) arrêtés après des manifestations pacifiques contestant sa ré-élection à la présidentielle de 2018. Le chef de la diplomatie française souhaite à ce propos «prendre acte et encourager la poursuite de la dynamique enclenchée là», observait son entourage à la veille du départ, dans des propos rapportés par Le Monde.
Des aides proposées par la France
Ainsi le ministre français des Affaires étrangères va-t-il proposer «une coopération, une assistance technique» pour aider Yaoundé à inventer le «statut spécial» promis dans le cadre du grand dialogue pour les deux régions anglophones. Il offrira aussi un soutien technique pour la mise en place d’une décentralisation et la France se dit en outre prête à «utiliser une partie de son aide au développement pour la poursuite de ce processus».
Par ailleurs, des élections législatives se profilent en février 2020 au Cameroun. Ainsi, le chef de la diplomatie française profitera de son déplacement pour faire «une offre d’accompagnement» à l’organisation de ce scrutin.
«Il faut que tous les acteurs politiques puissent regarder maintenant vers le futur, notamment les échéances électorales de l’an prochain qui sont nombreuses», soulignait aussi son entourage.
Outre ce volet politique, ce déplacement aura une visée économique – avec la rencontre de chefs d’entreprises français et camerounais à Douala, capitale économique du pays – mais aussi un objectif sécuritaire. Le ministre devrait rappeler que les projecteurs braqués sur le Sahel ne doivent pas faire oublier la menace terroriste qui sévit autour du lac Tchad. Le groupe djihadiste Boko Haram a en effet encore fait deux victimes le 9 octobre dernier dans le nord du pays.
L’idée lancée par le président Emmanuel Macron – au sommet du G7 à Biarritz en août 2019 – de monter un partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel (P3S) pourrait être discutée là, sous l’angle de la participation du Cameroun comme du Nigeria. Une façon d’impliquer les voisins du Sahel à l’heure où la force conjointe du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) peine à contenir une menace de moins en moins circonscrite. Parti du nord-est du Nigeria, le conflit avec Boko Haram est désormais étendu au Niger, au Tchad ainsi qu’au Cameroun.
Avec ses 26 millions d’habitants, ce pays reste un pivot important dans cette zone fragile. Et ce voyage de deux jours complets du ministre des français des affaires étrangères veut prouver la place qu’il occupe pour la France. Le chef de l’Etat, Paul Biya, lui, a été invité au Forum de Paris les 12 et 13 novembre prochains dans la capitale française. A Lyon, le 9 octobre, lors de la reconstitution du Fonds mondial, il avait rencontré Emmanuel Macron qui déjà l’avait déjà félicité.