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Peter Handke : le prix Nobel de littérature divise dans les Balkans

Le prix Nobel de littérature a été décerné à l'écrivain autrichien Peter Handke. Un choix qui ne fait pas l'unanimité dans les Balkans étant donné le soutien qu'avait affiché l'homme de lettres à l'ancien président serbe Slobodan Milosevic.

Alors que l’académie renommée a décerné, le 10 octobre, le prix Nobel de littérature à l’écrivain autrichien Peter Handke pour «son œuvre influente qui a exploré avec ingéniosité la linguistique, la périphérie et la spécificité de l’expérience humaine», selon les mots de Mats Malm, nouveau secrétaire perpétuel de l’Académie, des voix se sont élevées dans les Balkans pour contester le choix d’un homme considéré comme un ancien soutien de Slobodan Milosevic.

«Je me souviens que dans les années 1990, Vaclav Havel, Susan Sontag et beaucoup d’autres savaient que le mal en Europe devait être arrêté. Ce génocide en Bosnie et au Kosovo avait un responsable. Handke a choisi de soutenir et de défendre les coupables. La décision de l’Académie a apporté une douleur immense à d’innombrables victimes», s’est ému sur Twitter le président kosovar Hashim Thaçi, un des créateurs du Parti démocratique du Kosovo, branche politique de l’UÇK (l’armée de libération du Kosovo, organisation considérée comme terroriste jusqu’en 1997 par les Etats-Unis) également accusé par un rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe d’avoir été à la tête du «groupe de la Drenica», suspecté de trafic d’organes entre 1998 et 2000.

Une nomination «scandaleuse et honteuse»

«Je n’aurais jamais pensé avoir envie de vomir à cause d’un prix Nobel mais l’absence de honte devient commune dans notre monde. Etant donné le choix honteux décidé par l’autorité morale que représente l’Académie Nobel, la honte a été érigée en nouvelle valeur. Non nous ne pouvons pas devenir aussi insensibles au racisme et au génocide», s’est pour sa part emporté le Premier ministre albanais Edi Rama, toujours sur le réseau social.

Dans un communiqué, un membre de la présidence collégiale de Bosnie, Sefik Dzaferovic, a affirmé que cette décision était «scandaleuse et honteuse». «C’est honteux que le Comité du prix Nobel passe outre le fait que Handke justifiait les actions de Slobodan Milosevic et qu’il le protégeait lui et ses co-exécuteurs Radovan Karadzic et Ratko Mladic qui ont été condamnés [par la justice internationale] pour les plus graves crimes de guerre, dont le génocide», a-t-il ajouté.

Le réalisateur bosnien, Dino Mustafic, s’est lui aussi indigné sur Twitter : «Le lauréat du prix Nobel Handke a nié le génocide à Srebrenica et assisté aux funérailles de Milosevic.»

Même son de cloche chez Nermin Tulic, acteur bosnien blessé lors du siège de Sarajevo entre 1992 et 1995, qui a commenté ce choix sur le réseau social en postant un émoticône en train de vomir.

Emir Suljagic, professeur de relations internationales à Sarajevo, survivant du massacre de Srebrenica de juillet 1995, dans lequel plus de 8 000 hommes musulmans seront abattus par l’armée de la république serbe de Bosnie, a lui aussi fait part de sa surprise sur Twitter. «Un admirateur de Milosevic et un négationniste de premier plan obtient le Prix Nobel de littérature… Quelle époque…», a-t-il argué.

Le premier quotidien kosovar, Koha Ditore, avait lui titré : «Un admirateur de Milosevic, doublé d’un négationniste, reçoit le prix Nobel.» L’indépendance du Kosovo n'est pas reconnue par plusieurs Etats, comme la Russie, la Chine, l'Inde, l'Espagne ou encore la Serbie.

Un «ami des Serbes»

Au milieu des années 1990, Peter Handke décide de se rendre en ex-Yougoslavie afin de constater par lui-même la réalité du terrain. Il en revient avec le livre Voyage hivernal vers le Danube, la Save, la Morava et la Drina, dans lequel il demande «justice pour la Serbie». Dans son œuvre, il affirme que dans ce conflit les Serbes n’ont fait que répondre à une provocation et s’attire les foudres de beaucoup de ses contemporains occidentaux.

En 1999, il condamne également les bombardements de l’OTAN sur la Serbie y voyant un «nouvel Auschwitz» et compare les Serbes aux juifs sous le IIIe Reich. En 2006, il va même jusqu’à se rendre aux obsèques de l’ancien président Slobodan Milosevic, mort en prison en attente de son jugement pour crimes de guerre et contre l’humanité. «Le monde, le soi-disant monde sait tout sur la Yougoslavie, la Serbie. Le monde, le soi-disant monde sait tout sur Slobodan Milosevic […] Le soi-disant monde n’est pas le monde. Moi, je ne connais pas la vérité. Mais je regarde. J’écoute. Je ressens. Je me souviens. Je questionne. C’est pour ça que je suis aujourd’hui présent, près de la Yougoslavie, près de Slobodan Milosevic», assure-t-il à l’époque.

Ce prix a été bien accueillie en Serbie, les médias saluant «un ami des Serbes». Peter Handke était membre de l’académie des Sciences et des arts de Belgrade depuis 2012.

Ahmed Buric, écrivain originaire de Sarajevo, a paru plus mesuré, expliquant sur les ondes de Radio Free Europe, entité financée par le Congrès des Etats-Unis, que ce soutien de Peter Handke à Slobodan Milosevic était le signe que l’écrivain «n’allait pas bien». «Les critères littéraires devaient être au-dessus de la politique. Certains de ses textes des années 1980 sont vraiment des chefs d’œuvre», a-t-il fait valoir.

Une opinion partagée par l’Académicien Anders Olsson auprès du quotidien suédois Dagens Nyheter. D’après lui, le Nobel est «un prix littéraire, pas un prix politique et c’est sur ses mérites littéraires que nous lui avons décerné ce prix», précisant avoir «discuté de la controverse également dans un sens politique» avec ses homologues mais avoir «conclu que cela ne pouvait pas guider nos discussions».

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