Les derniers sondages pour les prochaines élections fédérales canadiennes du 21 octobre sont indécis. Les intentions de vote pour les libéraux – incarnés par l'actuel Premier ministre Justin Trudeau – et pour les conservateurs représentés par Andrew Scheer les mettent au coude-à-coude à 34%. Le premier «débat des chefs» du 2 octobre, entièrement en français, a donné lieu à de vifs échanges entre les principaux candidats à l'élection.
Justin Trudeau joue sur son «progressisme» sociétal
Ultralibéral sur les questions sociétales, Justin Trudeau postule pour un second mandat et compte bien s'appuyer sur celles-ci pour convaincre. Il a d'ailleurs ciblé son rival conservateur sur la question de l'avortement lors du débat public. Et n'a pas hésité à alterner vouvoiement et tutoiement, parfois dans la même phrase, ou à interrompre fréquemment son adversaire.
Parmi ses interpellations : «Personnellement, toi, Andrew Scheer, est-ce que vous croyez qu'une femme devrait avoir le choix [d'avorter] ?» «Personnellement, je vais m'assurer qu'un gouvernement conservateur ne va pas rouvrir le débat», a répondu le chef des conservateurs, se disant alors favorable à l'avortement. Le lendemain de cette soirée, Andrew Sheer est tout de même revenu sur son propos. «J'ai toujours été très clair sur cette question. Je suis personnellement pro-vie», s'est-il ainsi défendu lors d'un point-presse en marge d'une étape de campagne au Nouveau-Brunswick. Justin Trudeau a pour sa part toujours été ouvert sur les enjeux sociétaux, comme sur «l'aide médicale à mourir», mise en place en 2016.
Après quatre ans de mandat, Justin Trudeau doit faire face à son bilan. Il a par exemple permis la légalisation du cannabis en 2018 et assoupli les conditions d’accès à la nationalité canadienne ou encore défendu le port du voile islamique pour les agents de la gendarmerie royale du Canada. Celui qui était la tête de proue – avec l'Italien Matteo Renzi – du progressisme, et faisait même figure de modèle pour Emmanuel Macron, a aussi ouvert les frontières canadiennes, en réinstallant plus de 40 000 réfugiés syriens. Sans que ceux-ci parviennent toutefois à s'intégrer pleinement sur le marché du travail.
Environnement : l'écologisme à deux vitesses de Trudeau pointé du doigt
La deuxième passe d'armes du débat a porté sur l'un des autres sujets majeurs de la campagne : l'écologie. «Les conservateurs pensent que les lois du marché et l'intervention du Saint-Esprit vont régler les changements climatiques ou que ça n'existe pas», a ainsi accusé le chef du Bloc Québécois Yves-François Blanchet.
Andrew Scheer s'est lui engagé à maintenir une subvention versée aux acheteurs de voitures électriques s'il devenait Premier ministre. «Mais on doit reconnaître autre chose, le véhicule le plus populaire au Québec, c'est le F150», a-t-il confessé, en référence à un populaire pickup énergivore.
«Alors les Québécois vont continuer d'acheter du pétrole. J'ai fait mon choix, je préfère le pétrole de chez nous que le pétrole qui vient des Etats-Unis», a-t-il poursuivi. Justin Trudeau, pour sa part, a confirmé qu'il souhaitait, après sa nationalisation, l'extension de l'oléoduc Trans Mountain, affirmant que l'exportation de pétrole vers l'étranger permettra de financer «la transition» vers une économie verte engagée par son gouvernement. Une pirouette ? Justin Trudeau s'est ainsi sans surprise fait attaquer par Andrew Sheer pour son «hypocrisie sur la question de l'environnement». Cette nationalisation potentielle trahi de fait une volonté du Premier ministre de poursuivre le développement des oléoducs afin d'exporter le pétrole des sables bitumineux, pourtant responsables d'une augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES). Justin Trudeau a d'ailleurs encouragé l'exportation de gaz de schiste liquéfié, lui aussi accusé d'être une source de pollution. Censé être un champion de l'écologie lors de son accession au pouvoir en 2015, Justin Trudeau n'a au demeurant pas respecté les Accords de Paris d'atteindre ses objectifs de baisse des réduction des GES.
«Il y a seulement un chef ici ce soir qui a deux avions (pour sa campagne électorale) : Monsieur Trudeau, un pour vous et les médias et l'autre pour vos costumes et vos canots», a taquiné Andrew Sheer. Une allusion à une conférence de presse où Justin Trudeau est arrivé en remontant une rivière en canoë.
La politique économique canadienne en débat
Sur le plan économique, la croissance du PIB canadien est respectable en comparaison ave les pays du G7 avec près de 3% en 2017 et 1,88% en 2018. Son taux de chômage est également bas, seulement 5,7 % en août 2019. Deux indicateurs qui font la force de Justin Trudeau. Il est aussi parvenu, selon les statistiques officielles, à faire baisser le nombre de personnes sous le seuil de pauvreté. En 2017, 826 000 personnes de moins vivaient en effet sous le seuil de la pauvreté au Canada par rapport à 2015. Pour ce faire, le choix d'une politique de relance promouvant l'investissement a été assumée par le Premier ministre. Lors d'une interview à Radio-Canada en juin dernier, il s'est dit ne pas «être obsédés par l’austérité et la dette comme le sont les conservateurs». Il avait également annoncé à cette occasion son intention de creuser encore le déficit budgétaire du gouvernement, un changement de cap par rapport à 2015 quand le dirigeant libéral avait été porté au pouvoir en promettant un retour à l'équilibre budgétaire dès 2019 après trois années consécutives de déficits pour «aider la classe moyenne».
Selon les projections du Parti libéral, le déficit de 19,8 milliards de dollars canadiens (13,1 milliards d'euros) prévu pour l'année fiscale en cours (2019-20) passerait à 27,4 milliards de dollars canadiens (18,9 milliards d'euros) l'an prochain, avant de diminuer quelque peu les trois années suivantes. Mais ce déficit est en partie justifié, selon eux, pour financer des baisses d'impôts, qui seraient ciblées sur les classes moyennes.
Les affaires embarrassantes de Justin Trudeau
Le scandale des photos et vidéo le montrant grimé de noir («blackface») à plusieurs reprises entre les années 1990 et 2001, a récemment écorné l'image de Justin Trudeau. Cette polémique n'a toutefois pas été abordée lors du premier grand débat politique entre les leaders de parti. D'après une enquête publiée par le journal québécois Le Soleil, «six pour cent des électeurs canadiens ont répondu qu’ils ne vont certainement pas voter pour les libéraux précisément à cause de cet incident».
Autre affaire qui pourrait impacter fortement la campagne de Justin Trudeau et le choix des électeurs canadiens, le scandale SNC-Lavalin. Le 14 août dernier, un rapport cinglant du commissaire canadien à l'éthique avait en effet estimé que Justin Trudeau avait enfreint la loi sur les conflits d'intérêts en faisant pression sur son ex-ministre de la Justice pour éviter un procès à une société québécoise poursuivie pour corruption, SNC-Lavalin. Cette affaire, qui avait éclaté en février dernier, avait provoqué un scandale retentissant au Canada, entraînant la démission de deux ministres et ternissant l'image de probité de Justin Trudeau. Pendant plusieurs mois, les Libéraux ont plongé dans les intentions de vote pour les législatives du 21 octobre, avant de revenir à hauteur des conservateurs à la fin de l'été. Justin Trudeau a toujours nié toute faute dans cette affaire, et a affirmé avoir tenté de préserver les quelque 9 000 emplois du géant québécois du BTP, qui aurait été menacé de faillite en cas de condamnation pénale pour corruption.