Impair diplomatique ou rancœur tenace ? Alors qu’environ 80 chefs d’Etat et de gouvernement sont à Paris, ce 30 septembre, pour assister aux obsèques de Jacques Chirac, les Etats-Unis seront représentés uniquement par leur ambassadrice en France, Jamie McCourt. Une représentation américaine a minima, qui pourrait laisser penser que les Etats-Unis ne perçoivent pas la disparition de Jacques Chirac comme une priorité diplomatique. D'ailleurs, Washington a officiellement réagi trois jours après la mort de l’ancien président français.
Un communiqué de quelques lignes
Si dans la tradition diplomatique, il est d’usage que le dirigeant s’exprime pour porter le message de son pays à l’annonce d’un tel événement, les Etats-Unis ont dérogé à cette règle. Dans un communiqué, le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, a ainsi déclaré : «Ayant dédié sa vie au service public, l'ancien président Chirac a travaillé sans relâche pour préserver les valeurs et les idéaux que nous partageons avec la France». Le chef de la diplomatie américaine a, en outre, rappelé que l'ex-président français qualifiait les Etats-Unis de «pays que j'aime, que j'admire, que je respecte et que je connais bien», pour y avoir étudié et travaillé au début des années 50.
«Nous n'oublierons jamais que [Jacques Chirac] a été le premier chef d'Etat à se rendre aux Etats-Unis après les horribles attentats du 11 septembre 2001», a-t-il ajouté avant d’affirmer que «les Etats-Unis et la France [avaient été] côte à côte pour promouvoir la démocratie et la paix dans le monde, une relation durable qui se poursuit aujourd'hui.»
Quant à Donald Trump, il n’a, à l’heure où sont écrites ces lignes, pas fait de déclaration – même sur Twitter, réseau social qu’il affectionne tant. L’ancien président américain George W. Bush – artisan de la guerre en Irak à laquelle Jacques Chirac s’est ardemment opposé – ne s’est également pas exprimé, contrairement à son prédécesseur Bill Clinton, qui a salué dès la nouvelle tombée «un homme d’Etat audacieux et talentueux».
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L’opposition de Jacques Chirac à la guerre en Irak : un désaveu qui ne passe toujours pas à Washington ?
Les nombreuses divergences de vue entre Paris et Washington lorsque Jacques Chirac et Georges Bush étaient tous les deux à la tête de leur Etat, ont-elle pesé dans la réaction officielle de Washington au décès de l'ancien président français ?
De fait, l’invasion militaire de l’Irak en 2003 fut un sujet de discorde retentissant entre la France et les Etats-Unis.Le refus de Paris de s’aligner sur la position américaine fut très mal perçu par Washington. Les pressions américaines sur l'Etat français conduisirent Jacques Chirac à annuler, avec d'autres Etats européens, la totalité de la dette irakienne en 2005.
L’administration américaine conserverait-elle une certaine rancœur envers celui qui a incarné un temps, l’opposition française à l’interventionnisme américain en Irak ? Difficile à dire… mais le silence de Donald Trump pose question. Avant de briguer la magistrature suprême Donald Trump a pourtant affiché des positions contradictoires sur ce sujet.
l’Irak restera une menace et aura plus de motivation que jamais pour nous attaquer
En juillet 2016, fraîchement désigné pour représenter le camp républicain quelques mois avant l’élection présidentielle américaine, Donald Trump avait tiré à boulets rouges sur la décision de Georges W. Bush d’engager le pays dans une intervention militaire en Irak : «Après 15 ans de guerres au Moyen-Orient, après des milliards de dollars dépensés et des milliers de vies perdues, la situation est pire qu’elle ne l’a jamais été.» Avant d’ajouter : «[Avant cette période] la Libye coopérait. L'Egypte était paisible. L'Irak assistait à une réduction de la violence. L’Iran était étouffé par les sanctions. La Syrie était sous contrôle […]. L'Irak est dans le chaos.» Un terrible constat qui faisait alors écho à la prophétie de Jacques Chirac annoncée 13 ans plus tôt.
Pour autant, Donald Trump n’a pas toujours porté ce même jugement. Dans son livre L’Amérique que nous méritons, publié en 2000 – soit trois ans avant l’intervention américaine – il écrivait, remarque le site américain Buzzfeed : «Nous ne savons toujours pas ce que l’Irak fait ou s'il a les matériaux nécessaires pour construire des armes nucléaires. Je ne suis pas belliqueux. Mais si nous décidons que nous avons besoin de frapper l’Irak à nouveau, il serait fou de ne pas mener la mission jusqu’à son terme. Si nous ne le faisons pas, nous aurons droit à une situation pire que tout : l’Irak restera une menace et aura plus de motivation que jamais pour nous attaquer.» Un non-interventionnisme à géométrie variable qui demeure à ce jour d'actualité.
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Malik Acher