L'application de la réforme européenne du droit d'auteur tourne au bras de fer entre Google et la France : la plateforme refuse de rémunérer les éditeurs de presse pour l'utilisation d'extraits de leurs contenus, mais ne les reprendra plus sans leur accord. Un politique inadmissible pour le gouvernement et la presse française.
Le géant américain du numérique a annoncé le 25 septembre de nouvelles règles qui s'appliqueront fin octobre en France, en application d'une loi adoptée cet été qui transpose dans le droit français la directive européenne sur le droit d'auteur. La France est le premier pays de l'Union européenne (UE) à appliquer cette directive, adoptée fin mars.
Cette loi instaure notamment un «droit voisin» au profit des éditeurs de presse (qui publient journaux et magazines) et des agences de presse. Une mesure censée les aider à faire rémunérer la reprise de leurs contenus sur les plateformes en ligne et autres agrégateurs, pour compenser l'effondrement de leurs recettes publicitaires traditionnelles, tandis que les géants de l'internet, dont Facebook et Google, se taillent la part du lion des revenus publicitaires en ligne.
Cette directive avait fait l'objet d'une intense bataille de lobbying à Bruxelles, avec une mobilisation sans précédent des GAFA, qui avaient notamment soutenu qu'elle réduirait la liberté d'expression sur internet. Les médias y voyaient au contraire une nécessité pour continuer à produire une information de qualité.
Mais les règles présentées par Richard Gingras, vice-président de Google en charge de l'information, pour se conformer à la loi française, ont fait bondir les médias et le gouvernement : dans ce nouveau système, les éditeurs de presse basés en Europe devront désormais décider individuellement si, en France, des extraits de leurs infos (textes, vidéos...) et autres images miniatures continueront d'apparaître à côté des liens renvoyant vers leurs sites. Et ce, tant dans les résultats du moteur de recherche que dans Google Actualités... Pour les éditeurs qui accepteront, ces extraits s'afficheront sans qu'ils soient rémunérés.
En cas de refus, ces extraits et mini-images ne s'afficheront plus dans les résultats du moteur de recherche, qui n'incluront alors qu'un titre et un lien «sec» vers les infos des éditeurs. Mais les actualités de ces médias continueront tout de même à être référencées, assure Google, même si ces éditeurs de presse risquent de voir le trafic vers leurs sites diminuer voire s'effondrer.
Si Google n'a pas brandi l'arme d'une fermeture totale de Google Actualités (la version française de Google News), comme il l'avait fait en 2014 en Espagne, la pilule est difficile à avaler pour les éditeurs, qui voient ainsi se réduire les espoirs de retombées liées au droit voisin.
De son côté, Carlo Perrone, président de l'association des éditeurs européens de journaux (ENPA), a dénoncé «un coup de force» et un «diktat inacceptable» qui place «les médias devant un fait accompli: soit ils donnent au géant américain leur contenu gratuitement, soit ils seront fortement pénalisés par le moteur de recherche.» Le ministre de la Culture, Franck Riester, a également jugé la proposition de Google «inacceptable», et assure qu'il va chercher une solution avec ses homologues européens.
Google assure que ses nouvelles règles sont dans l'intérêt des internautes, empêchant que les résultats de recherche soient faussés par des considérations commerciales. «Nous n'avons jamais payé pour inclure des résultats dans les recherches et nous ne payons pas pour inclure des liens dans les résultats, [car] cela saperait la confiance de nos utilisateurs», explique ainsi Richard Gingras. En outre, Google met en avant son aide aux médias, tout d'abord par l'énorme trafic qu'il apporte à leurs sites, et par ses nombreuses formations, services et programmes de soutien à la presse, comme la Google News Initiative, un fonds d'aide à l'innovation.
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