Six véhicules blindés turcs et autant de véhicules américains ont traversé le 8 septembre la frontière pour rejoindre la Syrie dans le cadre de leur première patrouille conjointe décidée par le truchement d'un accord conclu le 7 août. Selon un photographe de l'AFP, les véhicules turcs et américains, suivis d'une ambulance et d'un pick-up, se sont enfoncés un peu en Syrie, avant de se diriger vers l'Ouest. Deux hélicoptères surveillaient la zone où les véhicules turcs ont traversé la frontière par une ouverture dans l'imposant mur en béton érigé entre les deux pays.
Cette incursion en territoire syrien a, dans la foulée, été condamnée par Damas, affirmant qu'il s'agissait d'une «violation flagrante» de sa souveraineté, selon un communiqué officiel. Cette décision constitue également une violation de «l'intégrité territoriale» de la Syrie, a fait savoir le ministère syrien des Affaires étrangères dans une déclaration, faisant référence à ce que le gouvernement considère comme une tentative de la milice kurde, soutenue par les Etats-Unis, de diviser le pays.
Mais cette patrouille n'a visiblement pas permis de régler les désaccords persistants entre Ankara et Washington dans le dossier syrien. Quelques heures après celle-ci, le président turc Recep Erdogan, a en effet souligné la différence de points de vues entre la Turquie et les Etats-Unis sur la création de cette «zone de sécurité». «Nous négocions avec les Etats-Unis pour la zone de sécurité, mais nous voyons à chaque étape que ce que nous voulons et ce qu'ils ont en tête sont deux choses différentes», a-t-il déclaré, avant d'ajouter : «Il semble que notre allié cherche une zone de sécurité pour l'organisation terroriste [les YPG], pas pour nous. Nous rejetons une telle vision.»
Une «zone de sécurité» réclamée par Ankara
La patrouille devait durer jusqu'à la mi-journée, avant le retour en Turquie des soldats turcs, selon le ministère de la Défense, qui a affirmé que des drones étaient également impliqués. L'accord, conclu le mois dernier entre la Turquie et les Etats-Unis, prévoit donc la mise en place d'une zone tampon entre la frontière turque et les zones syriennes. Celles-ci sont contrôlées par la milice kurde appuyée par Washington, à savoir les Unités de protection du peuple (YPG), le fer de lance des Forces démocratiques syriennes (FDS), à l'est du fleuve Euphrate.
Nous appliquons l'accord et n'avons aucun problème avec cela tant que cela empêche la guerre
Ankara juge cette milice comme une extension en Syrie du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qu'elle considère comme une organisation terroriste. Un avis que partagent l'Union européenne (UE) et les Etats-Unis. Le soutien américain a ainsi été un point de friction majeur entre les deux pays, pourtant alliés au sein de l'Otan. «Nous appliquons l'accord et n'avons aucun problème avec cela tant que cela empêche la guerre», a déclaré à l'AFP Riyad al-Khamis, à la tête du conseil militaire des FDS à Tal Abyad. La date de la prochaine patrouille n'est pas encore connue.
Empêcher l'affrontement entre Ankara et le YPG
Ankara et Washington ont récemment mis en place le centre d'opérations conjointes, prévu par cet accord pour coordonner la création de la «zone de sécurité», dont les contours restent flous. Recep Tayyip Erdogan a toutefois affirmé que son homologue américain Donald Trump avait promis que la «zone de sécurité» serait large de 32 kilomètres.
Le président turc a également menacé de lancer une opération dans le nord-est de la Syrie, si la Turquie n'obtenait pas le contrôle de cette «zone de sécurité». Cet accord avait déjà permis d'éviter une opération turque contre les YPG qui semblait imminente.
Depuis 2016, la Turquie a lancé deux opérations transfrontalières contre les YPG, et a plusieurs fois menacé d'en lancer une nouvelle. Si aucun calendrier n'a été avancé pour la mise en œuvre de cette zone, Erdogan s'est affirmé «déterminé» à ce qu'elle soit créée «d'ici la dernière semaine de septembre». Ankara a plusieurs fois mis en garde contre toute «manœuvre dilatoire» et prévenu qu'aucun «retard» ne serait toléré.
Lors d'un entretien téléphonique le 7 septembre, le chef d'Etat-major turc, Yasar Guler, a de nouveau insisté auprès de son homologue américain, Joseph Dunford, que la «zone de sécurité» devait être mise en place «sans perdre de temps».
L'un des objectifs de la «zone de sécurité» pour Ankara est de pouvoir y renvoyer certains des plus de 3,6 millions de réfugiés syriens installés en Turquie. Un projet pressant au moment où les combats à Idleb (nord-ouest de la Syrie) – où vivent environ trois millions d'habitants – font craindre un nouvel afflux de migrants.