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Qui est Ghislaine Maxwell, la sulfureuse complice présumée d'Epstein ?

Avec la mort de Jeffrey Epstein, l'enquête se dirige vers les complices présumés du milliardaire. En premier lieu desquels Ghislaine Maxwell, une Britannique bien intégrée à la haute société, soupçonnée d'avoir procuré des filles mineures au réseau.

La mort dans des circonstances encore troubles de Jeffrey Epstein ne va pas pour autant mettre un terme à l'affaire de trafic sexuel sur mineures dans laquelle il était accusé. Si l'on en croit le procureur général des Etats-Unis William Barr, celle-ci ne fait même que commencer, les autorités se concentrant désormais sur les autres personnes ayant pris part au réseau : «Je peux vous assurer que l'enquête va continuer, visant quiconque [ayant été] complice de [Jeffrey] Epstein. Aucun complice ne dormira tranquille.»

Un message qui vise à n'en pas douter Ghislaine Maxwell, dont le nom revient avec insistance dès les premiers documents rendus publics, la veille du décès du milliardaire. Introuvable depuis 2016, cette Britannique qui fréquente depuis toujours la haute société serait subitement réapparu, photographiée dans un fast food à Los Angeles alors qu'elle était plongée dans la lecture du best seller The Book of Honor : The Secret Lives and Deaths of CIA Operatives (Le livre d'Honneur : les vies et morts secrètes d'agents de la CIA), selon le New York Post.

Accusations

Si Ghislaine Maxwell concentre les attentions, c'est qu'elle est soupçonnée d'avoir joué un rôle majeur dans l'affaire. Présentée comme très proche du milliardaire, elle aurait agi, selon plusieurs victimes, en tant qu'entremetteuse, recrutant des jeunes filles mineures pour le réseau.

Dès 2015, une victime présumée, Virginia Roberts Giuffre, a intenté une action en justice contre le «couple». Dans sa plainte, elle accuse Ghislaine Maxwell d'avoir aidé Jeffrey Epstein à la contraindre à participer, avec d'autres filles mineures, à des orgies sexuelles dans les nombreuses résidences du milliardaire. Recrutée à 16 ans par Ghislaine Maxwell pour travailler comme masseuse, Virginia Roberts Giuffre s'est rapidement retrouvée confrontée à une toute autre situation. Le mot «massage» est devenu un code pour «sexe», explique-t-elle ainsi dans sa déposition, précisant : «Toute ma vie a consisté simplement à plaire à ces hommes et à rendre heureux Ghislaine et Jeffrey.»

Le modus operandi de Ghislaine Maxwell était somme toute relativement simple, comme le raconte Sarah Ransome, qui a remporté un procès au civil contre Jeffrey Epstein en 2018. Cette dernière a rapporté qu'entre 2006 et 2007, il lui avait été promis de payer ses frais de scolarité en échange de faveurs sexuelles. Les témoignages confirmant cette version continuent d'affluer encore aujourd'hui : Jennifer Araoz, une autre victime présumée de Jeffrey Epstein, vient de porter plainte contre Ghislaine Maxwell et trois autres femmes non identifiées devant la Cour suprême de l'Etat de New York. Dans sa plainte de 15 pages, elle décrit comment, issue d'une famille monoparentale modeste, elle se serait laissé prendre au «piège» de Jeffrey Epstein, décrivant une méthode similaire à celle qui a émergé des témoignages d'autres victimes du riche financier. 

Par ailleurs, d'après le Guardian, les documents rendus publics quelques heures avant le décès de Jeffrey Epstein révèlent que Ghislaine Maxwell aurait également demandé à des jeunes femmes de trouver d’autres adolescentes pour agrandir ce réseau. Pour les avocats de Virginia Giuffre, qui citent plusieurs témoins, ces documents établissent que Ghislaine Maxwell était en charge de «recruter, entretenir, héberger et organiser le trafic de jeunes filles pour [Jeffrey] Epstein». Le jeune femme accuse en outre Ghislaine Maxwell d'avoir elle aussi abusé sexuellement des victimes.

Dans une déposition effectuée en 2016 en marge de plusieurs plaintes, Ghislaine Maxwell, qui a toujours nié les accusations portées contre elle, reconnaît simplement avoir été chargée du recrutement de «nombreuses personnes... tout type de personnes» pour le milliardaire.

L'ombre du renseignement ?

Ghislaine Maxwell, 57 ans, est une figure bien implantée dans la haute société dans laquelle elle évolue depuis son enfance. Son père, Robert Maxwell, était un magnat des médias britannique qui a notamment fondé Pergamon Press, avant d'investir dans les tabloïds britanniques comme The Mirror, ou encore MTV Europe. Mort en 1991 à bord de son yacht, le Lady Ghislaine, sa vie n'est pas exempte de controverses. Peu de temps avant son décès, Ari Ben-Menashe, qui se présentait comme un ancien agent du Mossad, avait contacté plusieurs agences de presse britanniques et américaines, leur expliquant que Robert Maxwell était un agent de longue date des services de renseignement israéliens, rappelle ainsi l'Independent dans un article paru en 2006.

Si ces assertions n'ont jamais été prouvées, dans son ouvrage Gideon's Spies: The Secret History of the Mossad (Les espions de Gideon : l'histoire secrète du Mossad), le journaliste d'investigation Gordon Thomas raconte que six dirigeants du Mossad ont assisté au funérailles de Robert Maxwell en Israël, lors desquelles le Premier ministre israélien de l'époque, Yitzhak Shamir, a ainsi fait son éloge : «Il a fait plus pour Israël qu'il ne peut être dit aujourd'hui.»

Ghislaine Maxwell, qui a acquis une bonne position sociale grâce au puissant réseau de sa famille, rencontre Jeffrey Epstein quelques mois après la mort de son père. C'est elle qui l'introduit dans les élites new-yorkaises qu'elle fréquente depuis qu'elle a quitté la Grande-Bretagne, selon le New York Times. C'est notamment elle qui le présente à Bill Clinton, dont les relations avec Jeffrey Epstein soulèvent de nombreuses questions. Element attestant de sa proximité avec l'ancien chef d'Etat, elle avait notamment été aperçue au mariage de Chelsea Clinton, la fille de Bill et Hillary, en 2010.

Ghislaine Maxwell et Jeffrey Epstein aimaient avoir des secrets, et aimaient la façon dont ces secrets déstabilisaient les gens

Comme permet de constater le carnet noir du milliardaire, leur cercle de fréquentations était on ne peut plus vaste, de la famille royale britannique avec le prince Andrew, à de nombreux hommes d'affaires et hommes politiques des quatre coins du monde. Or d'après une amie proche de Ghislaine Maxwell, citée anonymement par le magazine Vanity Fair, le «couple» ne faisait pas que procurer des jeunes filles mineures à leur réseau; il se serait en effet vanté de posséder des éléments compromettants sur un «nombre incroyable» de personnalités riches et célèbres. D'après elle, l'île du milliardaire dans les Caraïbes était truffée de caméras, ce qui permettait au «couple» de récolter des documents à même de constituer des polices d'assurances pour eux-mêmes, ou encore des moyens de chantage.

«Les deux [Ghislaine Maxwell et Jeffrey Epstein] aimaient avoir des secrets, et [aimaient] la façon dont ces secrets déstabilisaient les gens. Jeffrey voulait toujours donner l'impression qu'il était un homme mystérieux à la carrure internationale : "Je contrôle tout et tout le monde. Je rassemble les gens, je possède les gens, je peux nuire aux gens".»

Il n'est dès lors pas interdit de s'interroger sur les raisons qui ont poussé les autorités à infliger une peine pour le moins clémente à Jeffrey Epstein lors de son premier procès. La journaliste Vicky Ward du Daily Beast, qui suit l'affaire depuis des années, raconte d'ailleurs les confidences à ce sujet, sous couvert d'anonymat, d'un ancien haut placé de la Maison Blanche. Lors de son entretien pour intégrer l'administration Trump, Alexandre Acosta, procureur de Miami en charge du procès en 2007, aurait expliqué avoir passé cet accord avec les avocats du milliardaire, sur des ordre venus de plus haut : «On m'a dit que [Jeffrey] Epstein "appartenait au renseignement" et qu'il fallait le laisser tranquille.»

Frédéric Aigouy

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