Le 8 juin, l'Agence France Presse (AFP) rapportait, via une dépêche, la mort à la suite de combats avec l'armée syrienne dans la province de Hama, voisine d'Idleb, d'Abdel-Basset al-Sarout, 27 ans, ancien gardien de but et héros de l'opposition contre Bachar el-Assad devenu «commandant au sein de la rébellion» syrienne.
Outre les circonstances du décès du jeune homme, rapportées en partie d'après les informations du controversé Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), le texte présentait sobrement le combattant comme «l'interprète le plus populaire des chansons contestataires après le début du soulèvement».
«Après la répression brutale par le régime de Bachar al-Assad des manifestations pacifiques, Sarout était devenu commandant au sein de la rébellion», pouvait-on encore lire dans la dépêche, dont l'intégralité ou une partie du contenu a été repris par de nombreux médias français comme France 24, ou Ouest-France.
Le lendemain, une dépêche revenant sur les obsèques du jeune homme, et le présentant dans des termes similaires était émise par l'AFP, non sans rappeler, au passage, qu'il était «qualifié de "gardien de but" et "oiseau chanteur" de la révolution», sur Twitter par ses sympathisants.
«La [Syrie] a perdu son gardien de but, manifestant et combattant, qui n'a connu le repos qu'aujourd'hui», a-t-on notamment pu lire en français sur Twitter à cette occasion.
Or, si les deux textes rapportent que Sarout est tombé au cours d'une offensive menée «par des djihadistes et des rebelles islamistes» sur Tal Maleh, et que la province d'Idleb est contrôlée par des «groupes djihadistes et rebelles», aucune mention concernant l'idéologie du jeune homme n'y figure. Une omission fâcheuse, car Abdel-Basset al-Sarout a pour le moins entretenu des liens ambigus avec le terrorisme islamiste.
Le quotidien Le Monde rapporte par exemple que sur la fin de sa vie, «il combattait dans les rangs de Jaich al-Ezza, un groupe sans idéologie marquée, mais associé sur le front aux djihadistes».
L'AFP se contente de son côté de rapporter que «Jamil al-Saleh, commandant de la faction rebelle Jaich al-Ezza, a annoncé la mort de Sarout sur Twitter, le qualifiant de "martyr" mort en combattant au nom d'Allah"».
De combattant «beau comme un jeune dieu grec» à sympathisant de l'EI ?
Présenté comme un symbole romantique de la jeunesse syrienne révoltée dans le documentaire Homs, Chronique d’une révolte, de Talal Derki, primé au Festival de Sundance, Abdel-Basset al-Sarout était salué par Le Monde en 2014 : «Il faut le voir chanter et haranguer la foule, porté d’épaule en épaule, beau comme un jeune dieu grec». Huit mois plus tard, le quotidien faisait état du «basculement» du jeune homme dans l'idéologie djihadiste, marqué par une sympathie grandissante pour le Front al-Nosra (branche syrienne d'al-Qaïda) et l'Etat islamique.
Dans son article consacré à son décès le 10 juin 2019, le journal français fait bien explicitement état de son allégeance présumée à Daesh en 2014.
Omis par l'AFP, le changement de cap dans le parcours d'Abdel-Basset al-Sarout n'a pas manqué d'être rappelé par plusieurs observateurs à l'occasion de la mort du «jeune chef de guerre».
«Visiblement son passage par l'[EI] et des groupes djihadistes ne semble pas gêner aujourd'hui», s'est notamment indigné l'historien et essayiste Frédéric Pichon sur Twitter.
«Oui à la fin de sa vie Abdel-Basset al-Sarout était devenu djihadiste, le nier serait malhonnête, comme il est malhonnête de prétendre qu'il l'a toujours été, en particulier au début de la révolution syrienne», a pour sa part tweeté l'islamologue Romain Caillet.
Un combattant d'«une faction islamiste non-djihadiste» ?
De son vivant, Abdel-Basset al-Sarout a nié plusieurs fois avoir prêté allégeance à l'Etat islamique, même si il a reconnu dans une interview en avril 2016 qu'il avait sérieusement envisagé de le rejoindre pour continuer à combattre l'armée syrienne après son évacuation forcée de Homs en 2014.
Dans le même entretien, il expliquait avoir refusé de prendre les armes contre Daesh au côté de Jabhat al-Nosra pour ne pas faire «couler le sang» d'autres musulmans. Il s'enorgueillissait en outre d'avoir participé à l'«exécut[ion]» de 13 soldats de l'armée arabe syrienne après une embuscade.
«Ceux qui entretiennent ce débat absurde pour savoir si Sarout était ou non un héros ignorent que la guerre brouille tout [...] Il n'y a pas de héros dans la guerre», a relativisé sur Twitter la journaliste et grand reporter Laura-Maï Gaveriaux.
Le journaliste de France 24 Wassim Nasr décrit quant à lui un combattant d'«une faction islamiste non-djihadiste».
L'ancien grand reporter et ex-otage de l'Etat islamique en Syrie Nicolas Hénin a quant à lui fustigé une «désinformation de la part des assadistes» au sujet d'Abdel-Basset al-Sarout.
Lucas Léger
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