Le président turc Recep Tayyip Erdogan a essuyé le 1er avril un revers inédit en 16 ans de pouvoir. Les résultats partiels des élections municipales du 31 mars indiquent que son parti s'achemine vers une défaite à Istanbul. Ce serait un coup dur après la perte d'Ankara, la capitale. Confronté à une récession économique et une inflation record, le chef de l'Etat avait jeté toutes ses forces dans la campagne pour un scrutin local largement considéré comme un baromètre de sa popularité, tenant jusqu'à huit meetings par jour à travers le pays. Si la coalition au pouvoir est arrivée en tête à l'échelle nationale avec 51% des voix, l'opposition a remporté Ankara et selon les premières estimations, pourrait mettre la main sur Istanbul, deux villes que le parti présidentiel AKP et ses prédécesseurs islamistes contrôlaient depuis 25 ans.
A Istanbul, le candidat de l'opposition Ekrem Imamoglu était crédité d'une courte avance sur l'ex-Premier ministre Binali Yildirim. Le président du Haut-comité électoral (YSK), Sadi Güven, a déclaré le 1er avril qu’Ekrem Imamoglu devançait d'environ 28 000 voix Binali Yildirim, d'après des résultats partiels. Sadi Güven a souligné que des recours étaient examinés pour un peu plus de 80 urnes. Après cette annonce, l'agence de presse publique Anadolu, qui avait subitement arrêté de publier les résultats le soir du 31 mars, a repris son décompte et créditait Ekrem Imamoglu de 48,79% des voix contre 48,51% pour Binali Yildirim, après dépouillement de 99% des bulletins.
Sans attendre les résultats définitifs, Ekrem Imamoglu a mis à jour le 1er avril sa biographie sur Twitter, se présentant comme le «maire de la municipalité métropolitaine d'Istanbul». Il a ajouté qu'il voulait «commencer le plus vite possible à servir les Stambouliotes». Ce dernier, qui avait revendiqué la victoire dès le soir du 31 mars, a admis le 1er avril que son adversaire semblait «avoir reçu 25 000 voix de plus», mais souligné «que le comptage des voix était toujours en cours».
Un scrutin contesté
Quelle que soit l'issue de la bataille d'Istanbul, cœur économique et démographique du pays, Recep Tayyip Erdogan a déjà essuyé un revers cinglant avec la perte de la capitale. Selon Anadolu, le candidat de l'opposition, Mansur Yavas, était en tête avec 50,90% des voix, contre 47,06% pour celui de la majorité, Mehmet Özhaseki, après dépouillement de 99% des urnes. Signe toutefois qu'il ne laissera pas lui échapper les deux principales villes du pays sans coup férir, l'AKP a annoncé le 1er avril qu'il déposerait des recours pour faire réexaminer la validité des bulletins considérés comme nuls, affirmant avoir relevé des «irrégularités». D’après Anadolu, 290 000 votes ont été comptés comme nuls à Istanbul et 90 000 à Ankara. Le secrétaire général de l'AKP Fatih Sahin a assuré que l'écart entre les candidats à Ankara allait «se réduire». «Je suis convaincu que le résultat sera au final positif pour nous», a-t-il ajouté. Redoutant des fraudes, l'opposition avait appelé ses observateurs à ne pas quitter les bureaux de vote, quitte à «ne pas dormir pendant 48 heures».
Contexte économique inquiétant
La situation économique pourrait avoir été le facteur principal expliquant le recul de l'AKP. De nombreux électeurs rencontrés par l'AFP dans les bureaux de vote à Istanbul et Ankara, ont en effet plaçé ce sujet au sommet de leurs préoccupations. Alors que l'AKP s'est appuyé sur une forte croissance pour engranger les victoires électorales depuis 2002, il a dû, cette année, composer avec la première récession du pays depuis dix ans, une inflation record et un chômage en hausse. «La crise économique a vraiment fait du mal à ses électeurs», explique Berk Esen, professeur associé à l'université Bilkent, à Ankara. «Erdogan a obtenu le soutien de sa base en promettant que la stabilité politique apporterait la prospérité économique», poursuit-il, ajoutant : «Mais ni l'une, ni l'autre n'ont été obtenues sous ses mandats».
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