«Un peuple fabuleux», «la révolution joyeuse qui émerveille le monde», «historique», ont titré des médias algériens au lendemain de la démonstration de force du 8 mars, qui a vu des marées humaines investir les rues du pays du nord au sud et d'est en ouest.
Pour le troisième vendredi d'affilée, des manifestations monstres ont réuni des centaines de milliers, voire plus d'un million de personnes. S'il est difficile d'évaluer l'ampleur du mouvement, aucun chiffre officiel n'ayant pour l'heure été révélé au niveau national par la police, les médias algériens sont nombreux à évoquer plusieurs millions de manifestants sur tout le territoire, à l'image du site TSA.
«L'Algérie s'est réveillée avec beaucoup de bonheur et de joie. Les gens avaient le sentiment de s'être libérés d'une lourdeur, de quelque chose qui pesait depuis longtemps», a confié Fayçal Métaoui, journaliste pour le site TSA à France info ce 9 mars. Le pacifisme et le civisme des manifestations a grandement participé à ce bonheur collectif, malgré quelques heurts dans la capitale. L'humour des slogans, la présence des femmes et des enfants dans les rassemblements, l'absence d'agressivité des forces de l'ordre ont en effet grandement contribué à ce sentiment.
A titre d'exemple, après la manifestation algéroise, «des bénévoles sont entrés en scène pour une opération de nettoyage géante», écrit par exemple Algérie24, qui estime que «les Algériens ont encore offert une belle image à la planète entière». De l'avis de tous, sur les réseaux sociaux et dans les médias, les manifestants algériens sont heureux de se retrouver et comptent bien reprendre les rênes de leur pays, qu'ils estiment confisqués par le pouvoir en place.
Reprendre les rênes, insuffler du contenu à la révolte
Mais au-delà du défoulement, de la communion et de la fierté, ce qui était particulièrement notable dans ces mobilisations du 8 mars est l'apparition de slogans appelant à des solutions politiques pour résoudre la crise et rejetant toute ingérence étrangère.
La nécessité de structurer le mouvement autour d'un projet commun commençait en effet à se faire sentir dans les jours précédents le 8 mars sur les réseaux sociaux pour sortir du simple «dégagisme», qui consiste à demander la chute du système en place. Des initiatives ont fleuri par dizaines sur le net, comme celle de la page Facebook Wech derna? («Que fait-on ?», en français), qui invite chacun à faire des propositions pour améliorer la situation politique du pays. Chawki Amine Smati, un journaliste, s'est prêté au jeu et a pour sa part proposé dans une vidéo la création d'un Haut conseil de justice qui serait élu pour garantir l'indépendance de la justice et mettre fin à la corruption dans le domaine du droit.
Un tract écrit en arabe et en français, distribué de manière anonyme lors de la manifestation dans la capitale, appelait à mettre en place des formes d'organisation autonome locale. «Construisons des comités d'usines, de quartiers et de femmes. Avec de telles structures, nous bâtirons une alternative [...] c'est ainsi qu'on pourra construire un rapport de force en faveur des masses populaires et de tous les opprimés», peut-on y lire.
Des banderoles fabriquées de manière artisanale affichaient également dans les rues du pays les aspirations démocratiques des Algériens, qui ne sont pas sans rappeler certaines formulées par les Gilets jaunes en France. «Pour une assemblée constituante souveraine» est un slogan qui s'est répandu et a été vu dans plusieurs villes du pays.
Une page Facebook nommée «Ecris ta Constitution», créée à cet égard, invite les citoyens à participer de manière active. «Si nous voulons être un pays démocratique au sens propre et originel du terme, alors la constitution ne peut venir que du peuple, à travers des assemblées populaires constituantes», peut-on lire dans une des publications de la page. «Cette constitution doit s’attacher à restaurer les libertés individuelles et collectives ainsi que l’égalité entre citoyens, et de là, une vraie justice sociale, et une revitalisation de la dynamique, et des mécanismes qui font tourner la machine sociétale», expliquent les animateurs de la page.
«On n'a plus de pétrole, à moins que vous ne vouliez de l'huile d'olive»
Ces manifestations massives ont suscité diverses réactions internationales. Parmi celles-ci, les Etats-Unis ont appelé le 5 mars le gouvernement algérien à respecter le droit de manifester. «Nous observons ces manifestations en Algérie et nous allons continuer à le faire», a ainsi affirmé à la presse le porte-parole de la diplomatie américaine Robert Palladino. «Les Etats-Unis soutiennent le peuple algérien et son droit à manifester pacifiquement», a-t-il ajouté.
Une déclaration qui est loin d'être passée inaperçue chez les Algériens. En effet, de très nombreuses pancartes s'adressaient directement en anglais à l'oncle Sam, le priant de bien vouloir se tenir à l'écart des affaires internes de l'Algérie, parfois avec humour, à l'image d'un jeune homme portant le message suivant : «Chers Etats-Unis, nous n'avons plus de pétrole donc restez à distance, à moins que vous ne vouliez de l'huile d'olive.»
Un autre message en anglais s'adressait directement au locataire de la Maison Blanche : «Trump, c'est une affaire familiale, ça ne te concerne pas.»
Meriem Laribi