«Il y a eu une attaque d'un groupe rebelle venu du sud libyen, qui est déstabilisé, pour prendre le pouvoir par les armes à N'Djamena et le président [Idriss] Déby nous a demandé par écrit une intervention pour éviter ce coup d'Etat venu du sud libyen, et pour protéger son propre pays» : devant l'Assemblée nationale le 12 février, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a justifié l'intervention française au Tchad contre des combattants rebelles de l'Union des forces de la résistance (UFR).
Depuis son arrivée au pouvoir en 1990 avec l'aide de Paris, Idriss Déby, qui avait alors renversé Hissène Habré, a toujours pu compter sur son allié français. A 65 ans, le chef d'Etat en est à son cinquième mandat et pourrait rester au pouvoir jusqu’en 2033 suite à une modification controversée de la Constitution votée par le Parlement en 2018.
Mais son pouvoir est contesté par l'UFR, groupe armé né en 2009 dont la majorité des membres et des chefs est à l'origine d'une tentative de putsch en 2008, stoppée in extremis aux portes du palais présidentiel de N'Djamena, grâce à l'appui de l'allié français. Fin janvier, les combattants rebelles de l'UFR sont de nouveau entrés en action, pénétrant au Tchad depuis la Libye où ils étaient basés par un convoi d'une quarantaine de pick-up.
En réaction, «les autorités tchadiennes et françaises ont décidé de nouvelles frappes, conduites par des Mirage 2000 les 5 et 6 février», avait expliqué le 6 février l'état-major français dans un communiqué, en précisant que l'action des Mirage 2000, «engagés depuis la base de N'Djamena, appuyés par un drone Reaper», avait permis au total de mettre hors de combat «une vingtaine de pick-up». «Le raid de cette colonne armée dans la profondeur du territoire tchadien était de nature à déstabiliser ce pays», avait encore soutenu l'état-major français, avant d'insister sur le fait que les forces armées tchadiennes était un «partenaire essentiel de la France dans la lutte contre le terrorisme, tant au Mali, au sein de la Minusma, qu'au sein de la force conjointe du G5 Sahel qu'au travers de son engagement contre Boko Haram».
L'opération Barkhane à la rescousse d'Idriss Déby
Un précision notable, car il est tout a fait inédit que la France utilise les forces de Barkhane pour protéger le pouvoir du président du Tchad Idriss Déby, les soldats de cette opération intervenant théoriquement dans la zone pour lutter contre le terrorisme islamiste. Si Jean-Yves Le Drian a jugé devant l'Assemblée cette intervention «tout à fait conforme au droit international», l'opposition tchadienne l'a de son côté violemment critiquée, l'estimant «inappropriée». «L'intervention française viole le droit international parce qu'il s'agit d'un problème interne qui oppose une rébellion tchadienne à un gouvernement tchadien», a par exemple affirmé Mahamat Ahmat Alabo, secrétaire général du Parti pour les libertés et le développement (PLD), cité par l'AFP.
Une accusation balayée par Paris, pour qui l'intervention répond à «une demande d'assistance formelle d'un Etat souverain à l'égard de la France», comme fait savoir le cabinet de la ministre française des Armées Florence Parly, et comme l'a donc répété le chef de la diplomatie Jean-Yves Le Drian.
Le cadre légal de la présence française au Tchad en question
Pourtant, le cadre légal de cette intervention interpelle l'ONG Survie, qui s'est penchée sur la question dans une note détaillée. Si l'ONG note que Paris est inattaquable d'un point de vue légal international, étant intervenu à la demande du Tchad, elle estime en revanche que la présence permanente de l’armée française dans le pays, au titre de l’opération Barkhane depuis août 2014, n’est «pas encadrée par un accord ou un traité public», et s'interroge donc sur les conditions de stationnement permanent de l’armée française au Tchad.
L'ONG signale que l’«Accord provisoire entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la république du Tchad relatif à la coopération pour la sécurité au Sahel», ainsi que la prolongation au-delà de 4 mois de l’opération Barkhane, déclenchée le 1er août 2014, n’ont en effet «jamais été soumises au Parlement».
L'organisation explique en outre que le ministre de la Défense de l’époque, Jean-Yves Le Drian, avait prétendu devant l'Assemblée que l’opération Barkhane s’inscrivait dans le prolongement des opérations Serval et Epervier, déjà autorisées par le Parlement. Un argument, qui, selon l'ONG, omet volontairement que l’opération Barkhane couvre cinq pays du Sahel (Serval couvrait le seul Mali, Epervier le Tchad) et que ses objectifs affichés n’ont rien à voir avec les objectifs de l’opération Épervier, menée de 1986 à 2014.
«Depuis décembre 2014, l’opération Barkhane, au titre de laquelle sont positionnées au Tchad les forces françaises qui sont intervenues à partir du 3 février 2019 contre des opposants tchadiens, est donc menée en violation de la Constitution française. Les parlementaires ne se sont malheureusement jamais saisis de cette opportunité de rouvrir le débat sur le rôle de l’armée française au Sahel, comme aujourd’hui au Tchad», conclut Survie dans sa note.