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F-35 préféré au Rafale : la Belgique a-t-elle tué l'Europe de la défense ?

Echarde dans le pied ou clou dans le cercueil ? Le projet de défense européenne a de nouveau du plomb dans l'aile après que la Belgique a finalement préféré le F-35 américain au Rafale français pour remplacer ses F-16.

Le camouflet était attendu depuis plusieurs mois, mais il n'en fait pas moins mal : après un long appel d'offres lancé en mars 2017, c'est finalement l'américain Lockheed Martin qui a remporté la bataille le 25 octobre en vendant à la Belgique 34 chasseurs F-35 destinés à remplacer une flotte aérienne vieillissante de F-16. La France, qui était en lice, repart bredouille avec ses Rafale. Le constructeur Dassault était entré dans la danse en septembre 2017. Le Danemark, les Pays-Bas et la Norvège ont également décliné l'option européenne, optant pour le F-35 de Lockheed Martin.

Bien que le Premier ministre belge Charles Michel ait tenté de ménager son voisin français en annonçant le jour même l'achat de 442 blindés français du programme Scorpion (livrables entre 2025 et 2030), le choix de l'américain, qui correspond à un tropisme atlantiste déjà connu au sein de l'armée belge, porte un coup sévère à l'armement français et, au-delà, au projet de défense européenne commune.

Emmanuel Macron, s'exprimant ce 26 octobre devant la presse à Bratislava, a dit regretter le «choix fait» par la Belgique. Il déplore une décision qui «stratégiquement, va a contrario des intérêts européens».

L'opposition belge voit rouge

Un reproche également formulé par un député centriste belge, Georges Dallemagne, qui a chargé Charles Michel : «En juin, vous nous disiez vouloir être dans le cockpit de la défense européenne. Vous vous trompez de cockpit.»

Dans le monde politique belge, la bataille fait rage et si certains médias, à l'instar du Soir, ont déploré un «manque de transparence» et de «débats», l'opposition a quant à elle dénoncé l'influence du parti nationaliste flamand, N-VA, qui occupe une place centrale au sein du pouvoir belge, et au passage le fauteuil de la Défense.

Sur le plan technique, le dossier de Lockheed Martin a également tiré parti de son prix plus attractif, comme l'a fait valoir le ministre belge des Affaires étrangères Didier Reynders le 25 octobre, qui a évoqué une offre américaine «meilleure sur le plan du prix et sur le plan opérationnel». Le ministre belge la Défense, Steven Vandeput (N-VA), a également mis en avant les atouts de cette décision : un contrat un demi-million moins cher que prévu pour 34 avions de type F-35 block 4 avec deux simulateurs de vol, l'appui opérationnel des appareils et même des casques pour les pilotes. L'opération coûtera à la Belgique 4 milliards d'euros pour un total de 34 appareils.

Par ailleurs, selon les informations de l'AFP, le scandale de corruption Agusta-Dassault, qui avait fait chuter plusieurs ministres belges dans les années 1990, aurait également pesé dans la balance.

La France paie-t-elle pour avoir humilié la Belgique ?

En proposant une «coopération approfondie» avec l'armée de l'air belge, dépassant la simple fourniture des Rafale du groupe Dassault, les Français avaient voulu se distinguer par une offre audacieuse destinée à mettre hors-course les concurrents britanniques, qui proposaient le Typhoon fabriqué par le consortium Eurofighter.

Mais Anne Bauer, journaliste Défense des Echos, estime à cet égard que «Paris a humilié le gouvernement belge et ses efforts pour définir des règles de compétition claires». Une erreur stratégique, donc... Et une autre : la Belgique a vu d'un mauvais œil les clauses de confidentialité voulues par le constructeur Dassault. 

Sale temps pour l'armement français, qui pourrait également pâtir des relations diplomatiques tendues entre la France et l'Italie : depuis l'élection de la coalition au pouvoir à Rome, l'Elysée évite de s'afficher avec son partenaire commercial et les passes d'armes entre le vice-premier ministre italien, Matteo Salvini, et Paris se multiplient.

Le rapprochement anticipé de longue date entre les constructeurs navals Naval Group (majoritairement détenu par l'Etat français) et Fincantieri (contrôlé par le ministère italien de l'Economie) a notamment été revu à la baisse. Les médias français, à l'instar de La Tribune, ont notamment évoqué le 24 octobre «une alliance a minima lancée en catimini».

Matignon aurait pesé lourdement dans la balance en s'efforçant de torpiller une éventuelle fusion des deux groupes industriels, initialement projetée sous l'ère de François Hollande. Selon les informations de L'Opinion, le ministre français des Armées, Florence Parly, «parle» à son homologue italien Elisabetta Trenta, mais cette dernière lui a «fait faux bond», lors de l’Université d’été de la Défense en septembre. Par ailleurs, l'Italie ne participe pas à l'Initiative européenne d'intervention voulue par Emmanuel Macron.

L'avenir incertain de la défense européenne semble donc suspendu à l'échéance des prochaines élections européennes, qui pourraient rebattre les cartes. En ce qui concerne l'armement français, les regards devront peut-être se tourner à nouveau vers les pays arabes, à défaut de contrats avec des pays de l'Union.

Antoine Boitel