Theodore Postol, professeur du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT), connu notamment pour ses travaux remettant en cause le discours officiel américain sur l'attaque chimique présumée de Khan Cheikhoun en Syrie, a vigoureusement dénoncé l'incompétence sur ce sujet d'Eliot Higgins, blogueur et fondateur du site britannique d'investigation Bellingcat. Ce dernier lui a rendu la pareille.
L'échange houleux entre les deux hommes a eu lieu dans le cadre d'une conférence organisée à Londres ce 20 octobre par Center for Investigative Journalism (CIJ) sur le thème du «conspirationnisme». Des extraits du débat épinglés sur les réseaux sociaux témoignent de la rudesse des invectives, de part et d'autre. Lorsque l'animateur du débat demande à Theodore Postol s'il a trouvé quoi que ce soit de pertinent dans les travaux d'Eliot Higgins, le professeur du MIT répond par un simple «Non», provoquant des rires dans l'assemblée.
Vous fabriquez des informations et des arguments. Vous permettez à des personnes susceptibles d'avoir commis des crimes de guerre de se déplacer librement
«Je pense que le travail de Ted [Theodore Postol] est une honte. Il est utilisé pour nier des crimes de guerre», assène sans ambages le blogueur de Bellingcat, avant d'ajouter : «Et je pense que c'est absolument dégoûtant.» Ce à quoi le professeur émérite de sciences, technologie et sécurité internationale, répond calmement : «Vous fabriquez des informations et des arguments. Vous permettez à des personnes susceptibles d'avoir commis des crimes de guerre de se déplacer librement.»
La vidéo intégrale de l'entretien, comprenant les arguments techniques de chacun des deux hommes sur les attaques chimiques supposées attribuées par les Occidentaux aux autorités syriennes, n'est pas accessible à ce jour.
Theodore Postol, chercheur au MIT critique du discours officiel américain
La mésentente des deux débatteurs n'est pas nouvelle : en avril dernier, Eliot Higgins avait refusé une proposition de débat avec Theodore Postol, formulée par un journaliste du nom d'Aaron Mate. Le fondateur et contributeur de Bellingcat avait alors fait valoir que le professeur – qui a par le passé travaillé comme conseiller scientifique auprès du chef des opérations navales du Pentagone – était un «idiot»...
Dans ses travaux sur la Syrie, Theodore Postol a remis en cause la démonstration technique du renseignement américain étayant la responsabilité de Damas dans le massacre de la Ghouta en 2013. Le chercheur, accompagné d'un ancien inspecteur des Nations unies, Richard Lloyd, mais aussi spécialiste des missiles, a étudié des centaines de clichés et de vidéos de restes d'ogives et d'impacts au sol pour mener à bien son enquête. Ses conclusions avaient été jugées probantes, notamment, par Le Point.
Plus récemment, Theodore Postol a examiné à la loupe le rapport américain rendu public le 11 avril 2017 sur les circonstances du drame de Khan Cheikhoun du 4 avril de la même année. Dans une contre-enquête de 14 pages, le professeur a avancé que le rapport du renseignement américain accusant Damas de l'attaque chimique présumée de Khan Cheikhoun ne contenait «absolument aucune preuve que l'attaque soit le résultat d'un bombardement aérien».
Eliot Higgins, «moteur» du site controversé Bellingcat
Eliot Higgins, quant à lui, est décrit par l'AFP comme le «moteur de Bellingcat» et «un employé de bureau au chômage autodidacte, sans aucune formation en journalisme». Selon l'agence de presse française, il s'est fait connaître grâce à ses enquêtes sur la guerre en Syrie, sous le nom de blogueur «Brown Moses», pointant notamment du doigt l'utilisation supposée de barils d'explosifs par l'armée syrienne, analysant l'impact des frappes aériennes au moyen de sources ouvertes.
Il a fondé Bellingcat en 2014. Ce site a récemment fait parler de lui dans le cadre de l'affaire Skripal, du nom de cet ex-agent double russe empoisonné au Royaume-Uni en mars dernier. Le site affirme que les deux hommes accusés par Londres d'avoir empoisonné Sergueï Skripal seraient un colonel et un médecin du renseignement militaire russe. Si Bellingcat est présenté comme une source on ne peut plus fiable, presque officielle, par la presse occidentale, la Russie a formellement démenti les informations rapportées par ce site au sujet des suspects de l'affaire Skripal, qui selon Moscou, sont des civils.
La porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova avait dénoncé le 27 septembre dernier une campagne médiatique destinée à couvrir le manque de preuves du Royaume-Uni, qui accuse Moscou d'être responsable de cet empoisonnement.
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