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Schisme : que se passe-t-il au sein de la religion orthodoxe en Ukraine ?

La décision du patriarcat de Constantinople de reconnaître en Ukraine une Eglise indépendante du patriarcat de Moscou place l'Eglise russe et ses fidèles dans une situation délicate, et constitue un épisode majeur de la crise entre Moscou et Kiev.

Le monde orthodoxe traverse une crise majeure. Le 11 octobre, à l'issue d'un Saint-Synode de deux jours à Istanbul, le patriarche Bartholomée, titulaire du patriarcat de Constantinople, a annoncé reconnaître en Ukraine une Eglise indépendante (autocéphale), mettant ainsi fin à 332 années de tutelle religieuse du patriarcat de Moscou dans le pays. Jusqu'à présent, le patriarcat de Kiev, autoproclamé après l'indépendance du pays en 1992, n'était reconnu par aucune Eglise orthodoxe dans le monde.

Un «schisme» dénoncé par le patriarcat de Moscou qui a qualifié cette décision de «catastrophe». Selon Vladimir Legoïda, un haut responsable de l'Eglise russe, il s'agit d'une tentative «de saper les fondements du système canonique de toute l'orthodoxie» qui aura «des conséquences extrêmement graves». Car cette décision pose en premier lieu la question de l'avenir de millions de croyants en Ukraine, où l'Eglise orthodoxe russe jouit d'une influence conséquente.

Les paroisses du patriarcat de Moscou menacées ?

Si le patriarcat de Kiev compte le plus grand nombre de fidèles selon les enquêtes d'opinion, le patriarcat de Moscou dispose du plus grand nombre de paroisses – plus de 12 000 – dans le pays. Et la question est désormais de savoir à quelle Eglise elles seront rattachées, notamment les plus symboliques que sont la laure de Kievo-Petchersk dans la capitale et celle de Potchaïv, qui dépendent aujourd'hui du patriarcat de Moscou.

L'Eglise orthodoxe russe craint que ne soient menées des actions, de force ou en justice, visant à lui retirer le contrôle des églises et monastères qui lui sont affiliés. Certains ecclésiastiques de paroisses loyales à Moscou ont déjà appelé leurs fidèles à se tenir prêt à les défendre.

«[Les autorités] assurent qu'il n'y aura pas de recours à la force, mais comment prévoient-elles alors de transférer nos églises et locaux à d'autres ?», s'est inquiété auprès de l'AFP l'archevêque Kliment Vetcheria, porte-parole de l'Eglise russe. «Des groupes radicaux [...] disent ouvertement qu'ils n'hésiteront pas à mener des actions agressives», poursuit-il, en référence aux groupes ultra-nationalistes du pays.

Les autorités ukrainiennes et russes s'emparent du sujet

Les autorités ukrainiennes affirment pour leur part que le gouvernement respectera le choix des paroisses qui décideront de rester loyales au patriarcat de Moscou. Mais le président ukrainien Petro Porochenko a tenu des propos loin d'être aussi rassurants.

Il a ainsi accusé le Kremlin de vouloir «lancer une guerre religieuse en Ukraine», allant jusqu'à qualifier d'«agents de Moscou» ceux qui appellent à «saisir des monastères ou des églises»... «Les Russes vont tenter de déstabiliser la situation en utilisant à cette fin l'extrême droite ukrainienne», précise dans la même logique un haut responsable de la sécurité cité par l'AFP. 

De son côté, le Kremlin a répliqué que Moscou n'hésiterait pas à «protéger les intérêts des orthodoxes» en Ukraine si les autorités du pays ne parvenaient pas à «maintenir la situation sous contrôle et dans le cadre de la légalité». Une protection qui se fera par des moyens «exclusivement politiques et diplomatiques», a précisé Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin.

La main de Washington ?

Le conflit entre les deux Eglises orthodoxes, latent depuis des années, a bien entendu été attisé par les tensions politiques entre Kiev et Moscou. Petro Porochenko s'est d'ailleurs immédiatement félicité de la décision du patriarche Bartholomée, saluant la fin de l'«illusion impériale et des fantaisies chauvinistes» de la Russie, jugeant qu'il s'agissait d'un «nouvel acte d'indépendance» de l'Ukraine.

Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a lui vu une «provocation» dans la décision du patriarcat de Constantinople, suggérant qu'elle était soutenue par Washington. «Quand l’envoyé spécial américain pour les relations entre les Eglises salue ouvertement la décision de Bartholomée [...] on voit le bout de la queue du diable», a noté le chef de la diplomatie dans un entretien exclusif accordé à RT France, Le Figaro et Paris Match

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